(Derna) L’aide internationale à la Libye s’intensifie jeudi après les inondations dévastatrices qui ont fait des milliers de morts et de disparus à Derna dans l’Est du pays, où se poursuivent les recherches d’éventuels survivants.   

L’accès à la zone sinistrée reste toutefois très difficile après la destruction de routes et de ponts, ainsi que les dommages causés aux lignes électriques et téléphoniques coupées dans de vastes zones, où au moins 30 000 personnes se sont retrouvées sans abri.

Plusieurs camions chargés notamment de produits alimentaires sont parvenus à entrer dans la ville où les aides vont directement à des centres de collecte, avant d’être distribuées aux habitants, selon un journaliste de l’AFP sur place.  

Le déferlement d’eau dans la nuit de dimanche à lundi à Derna a rompu deux barrages en amont, provoquant une crue éclair de l’ampleur d’un tsunami.

PHOTO SOPHIE RAMIS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Carte montrant la zone inondée dans la ville libyenne de Derna, dans l’est du pays, selon une analyse satellite réalisée par Unosat le 13 septembre 2023.

Découverte macabre

« J’ai perdu des amis, des proches. Ils sont soit ensevelis sous la boue, soit emportés par les flots vers la mer », témoigne auprès de l’AFP Abdelaziz Bousmya, 29 ans, la voix étranglée par l’émotion.

Selon lui, au moins 10 % de la population de la ville aurait péri.  

Les dégâts sont énormes dans cette ville côtière de 100 000 habitants où des pâtés de maisons entiers, des voitures et un nombre incalculable de personnes ont été emportés dans la mer Méditerranée.

Les incertitudes demeurent sur le bilan des victimes. Les bilans avancés par les autorités libyennes varient d’un responsable à l’autre.  

Si le porte-parole du ministère de l’Intérieur au sein du gouvernement de l’Est a fait état mercredi de plus de 3840 morts, le ministre lui-même, Issam Bouznigua, a parlé quelques heures plus tard de 2794 morts à Derna et dans les autres villes de l’Est.  

Des centaines de corps ont été déjà enterrés depuis la catastrophe, parfois dans des fosses communes. Dans le même temps, des dizaines de personnes qui étaient coincées dans les décombres de leurs maisons ont été secourues, selon des médias libyens.  

Jeudi, des habitants traumatisés, des plongeurs, des secouristes et des volontaires continuent de sortir des corps des bâtiments inondés ou de les repêcher en mer.  

En pompant de l’eau dans une maison sinistrée, des sauveteurs ont fait une découverte macabre : une femme et son enfant qu’elle tenait dans les bras gisaient sans vie dans une pièce, selon le journaliste de l’AFP.   

Non loin de là, un responsable militaire ordonne l’envoi de sacs mortuaires à une commune proche où une cinquantaine de corps auraient échoué sur la côte.

« Les disparus de Derna »

Sur une page Facebook intitulée « les disparus de Derna », on peut voir, 24 heures après sa création, des dizaines de publications présentant des noms et des photos d’enfants ou d’adultes disparus.  

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a annoncé jeudi avoir dépêché des équipes supplémentaires dans la région pour la distribution de l’aide humanitaire, ajoutant avoir « fourni 6000  sacs mortuaires ».

De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM) a indiqué jeudi avoir commencé à fournir une aide alimentaire à plus de 5000 familles déplacées par des inondations, précisant que « des milliers de familles à Derna sont maintenant sans nourriture ni abri ».

L’ONU, les États-Unis, l’Union européenne et de nombreux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont promis d’envoyer de l’aide. Des équipes de secours étrangères sont déjà à l’œuvre à la recherche d’éventuels survivants ou de victimes.

Emportés par les flots

De plus, ce pays d’Afrique du Nord est plongé dans le chaos depuis la mort du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, avec deux gouvernements rivaux, l’un reconnu par l’ONU basé dans la capitale Tripoli, à l’ouest, l’autre dans la région orientale touchée par les inondations.

Un rescapé a raconté comment sa mère et lui avaient survécu. « En quelques secondes, le niveau de l’eau est soudainement monté ».

« Les flots nous ont emportés […] avant de nous projeter sur un escalier d’un bâtiment vide », a-t-il dit sur son lit d’hôpital, selon un témoignage publié par le Centre médical de Benghazi (Est).

« Nous avons monté l’escalier et l’eau montait avec nous jusqu’à ce que nous arrivions au quatrième étage […]. De la fenêtre, je voyais des voitures et des corps emportés par l’eau », a-t-il ajouté.  

La plupart des morts « auraient pu être évitées », a estimé jeudi Petteri Taalas, patron de l’Organisation météorologique mondiale qui dépend de l’ONU. Les années de conflit en Libye ont « en grande partie détruit le réseau d’observation météorologique », tout comme les systèmes informatiques, a-t-il déclaré à Genève.  

La tempête Daniel, qui a provoqué les inondations, a pris de l’ampleur au cours d’un été exceptionnellement chaud et s’était abattue sur la Turquie, la Bulgarie et la Grèce, avant d’atteindre la Libye dimanche.