(Khartoum) Le cessez-le-feu de 72 heures conclu entre belligérants au Soudan sous l’égide des États-Unis est partiellement respecté mardi à Khartoum, tandis que les pays étrangers accélèrent les efforts pour évacuer leurs ressortissants de ce pays d’Afrique du Nord-Est en plein chaos.

Dix jours après le début des combats qui ont fait plus de 459 morts et plus de 4000 blessés selon l’ONU, l’armée a visé mardi avec ses avions les positions des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) qui ont répondu par des rafales de mitrailleuse lourde, dans les banlieues de Khartoum, ont rapporté des témoins à l’AFP.

De nouveaux raids aériens visant des véhicules des FSR ont eu lieu en soirée dans le nord de Khartoum, d’après d’autres témoins.

Et les paramilitaires du général Mohamed Hamdane Daglo – qui s’opposent à l’armée du général rival Abdel Fattah al-Burhane, au pouvoir depuis un coup d’État en octobre 2021 – ont affirmé avoir pris le contrôle d’une raffinerie et d’une centrale électrique à 70 km au nord de Khartoum, d’après une vidéo mardi.

PHOTO AKUOT CHOL ASHRAF SHAZLY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les généraux Abdel Fattah al-Burhane (à gauche) et Mohamed Hamdane Daglo

L’armée, elle, a signalé sur Facebook un « important mouvement [des FSR] vers la raffinerie dans le but de profiter de la trêve pour [en] prendre le contrôle ».

Comme à chaque annonce de trêve, les FSR et l’armée se sont mutuellement accusés de la violer.

« Après d’intenses négociations », l’armée soudanaise et les FSR « ont accepté un cessez-le-feu dans tout le pays », a affirmé le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, peu avant l’entrée en vigueur de la trêve à minuit (18 h, heure de l’Est, lundi).

Les États-Unis se sont dits « profondément impliqués » auprès des parties belligérantes sur la question de la trêve, a indiqué mardi le porte-parole du Département d’État, Vedant Patel.

La France, elle, s’est dite « attentive au respect effectif » du cessez-le-feu, d’après un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

Un cessez-le-feu local est aussi observé dans la vaste région du Darfour-Nord (ouest) depuis plusieurs jours selon des informations de l’ONU, et les intenses combats y auraient baissé en intensité depuis le début des hostilités le 15 avril.

Des témoins ont cependant rapporté à l’AFP des affrontements entre l’armée et les FSR, impliquant notamment des avions de chasse, à Wad Banda, au Kordofan-Ouest (sud), région limitrophe du Darfour.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’inquiète pour sa part d’un risque biologique « énorme » après la prise « par l’une des parties combattantes » d’un « laboratoire public de santé » de Khartoum, qui renferme des agents pathogènes de la rougeole, du choléra et de la poliomyélite.

Cessez-le-feu définitif ?

Profitant de cette potentielle accalmie, jusqu’à 270 000 personnes pourraient encore fuir au Tchad et au Soudan du Sud voisins, a alerté mardi l’ONU.

PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE INDONÉSIEN DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES VIA AGENCE FRANCE-PRESSE

De la fumée s’élève d’un bâtiment à côté d’une voiture endommagée dans une rue de Khartoum.

Khaled Omar Youssef, des Forces de la liberté et du changement (FLC), le bloc civil limogé par le putsch mené en 2021 par les deux généraux alors alliés, s’est félicité « d’une médiation américaine » pour « cette trêve humanitaire ».  

« Elle permettra un dialogue sur les modalités d’un cessez-le-feu définitif », a-t-il déclaré à l’AFP, affirmant que les civils participent aux négociations. L’armée soudanaise a évoqué une médiation « saoudo-américaine ».

Si l’intensité des combats dans plusieurs quartiers de la capitale a baissé depuis le début samedi des évacuations d’étrangers, dans d’autres secteurs toutefois, les affrontements ont été ces derniers jours plus destructeurs.  

Sur des vidéos authentifiées par l’AFP, des magasins incendiés, des immeubles détruits et des civils hagards au milieu de décombres témoignent de la violence des combats.

Dalia Mohammed a fui Khartoum pour se rendre à Port-Soudan (est). « On est devenus des déplacés à cause de […] deux hommes et leurs troupes surarmées », se lamente-t-elle.

PHOTO ADJ LAURE-ANNE MAUCORPS EP DERRI, ÉTAT MAJOR DES ARMÉES VIA AGENCE FRANCE-PRESSE

Des soldats aident une femme alors qu’elle débarque d’un appareil militaire A400M à son arrivée à Djibouti.

« Le plus difficile, c’était le son des bombardements et des avions de chasse survolant notre maison. Nos enfants étaient terrorisés », raconte Safa Abou Taher, évacuée avec sa famille par avion à Amman.

Ceux qui ne peuvent pas quitter la capitale de plus de cinq millions d’habitants tentent de survivre privés d’eau et d’électricité, soumis aux pénuries de nourriture et aux coupures téléphoniques et de l’internet.

Selon l’ONU, « 24 000 [femmes] devraient accoucher dans les semaines à venir » et font face « à d’extrêmes difficultés » dans l’accès aux soins alors que, selon le syndicat des médecins, près des trois quarts des hôpitaux sont hors service.

Le conflit risque d’« envahir toute la région et au-delà », a prévenu le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

Le Conseil de sécurité doit se réunir mardi soir au sujet du conflit.

« Long voyage »

Le chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE), Josep Borrell, s’est félicité de la trêve, exhortant « les deux parties à la respecter pleinement ».  

L’Allemagne a déjà prévenu qu’elle organisera mardi soir son dernier vol pour évacuer ses ressortissants ainsi que des citoyens d’autres pays vers la Jordanie.

Le Royaume-Uni, lui, a entamé l’évacuation de ses ressortissants, trois jours après celle de ses diplomates. Un premier vol a atterri mardi à Chypre et deux autres devraient suivre dans la nuit.

Plus de 1000 ressortissants de l’UE ont pu partir, la France annonçant mardi avoir évacué 538 personnes parmi lesquelles 209 Français. L’Ukraine a elle pu faire sortir du pays 138 personnes, dont 87 de ses ressortissants.

Tokyo a dit de son côté avoir évacué « tous les Japonais qui se trouvaient à Khartoum » et désiraient partir.   

Environ 700 employés internationaux de l’ONU, d’ONG et d’ambassades « ont été évacués vers Port-Soudan », a indiqué l’ONU.  

Cinq humanitaires ont été tués dans les combats au Soudan où des dizaines d’employés humanitaires ont été évacués vers le Tchad depuis le Darfour.