(Khartoum) L’ONU appelle jeudi à accorder « trois jours » de répit aux Soudanais toujours pris sous les feux croisés de l’armée et des paramilitaires des deux généraux en guerre pour le pouvoir à l’occasion de la fête de fin du ramadan vendredi.

À lire aussi : Les Soudanais fuient la capitale sous les bombardements

Mais les appels au dialogue ou à une trêve même courte n’ont trouvé aucun écho depuis six jours, étouffés sous le fracas des raids aériens, des explosions et des combats de rue.  

Jeudi, réagissant pour la première fois depuis le début des hostilités, le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée, a tranché : il n’y aura pas « de discussions politiques » avec son rival Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », à la tête des Forces de soutien rapide (FSR) : soit il cesse de « vouloir contrôler le pays », soit il se fera « écraser militairement ».

Après une réunion avec l’Union africaine, la Ligue arabe et d’autres organisations régionales, le patron de l’ONU Antonio Guterres a appelé à un cessez-le-feu d’« au moins trois jours » pour l’Aïd el-Fitr, la fête qui marque vendredi la fin du jeûne musulman du ramadan.

Il a aussi eu au téléphone le général Burhane, également contacté par les présidents du Soudan du Sud et de Turquie, le premier ministre de l’Éthiopie voisine, ainsi que les chefs de diplomatie américain, saoudien et qatari, a rapporté l’armée soudanaise.

Depuis le 15 avril, les affrontements, principalement dans la capitale et la région du Darfour (ouest), ont fait « plus de 330 morts et 3200 blessés », selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Des explosions ont aussi retenti jeudi à El-Obeid, à 350 kilomètres au sud de la capitale.

Mais Tagrid Abdine, une architecte de 49 ans à Khartoum, n’est « pas optimiste ». « Ça fait trois ou quatre fois qu’on annonce un cessez-le-feu mais les deux camps ne l’ont jamais respecté », dit-elle à l’AFP.

« On aimerait que les combats s’arrêtent pour l’Aïd, mais on sait que ça n’arrivera pas », se lamente de son côté Abdallah, un autre habitant de la capitale.

Dans « certains quartiers du centre, l’odeur de la mort et des cadavres règne », témoigne un homme en route vers un quartier plus calme.  

Dans la métropole de plus de cinq millions d’habitants, de nombreuses familles ont épuisé leurs dernières victuailles et n’ont plus d’électricité ni eau courante. Certaines se pressent sur les routes pour fuir raids aériens et combats de rue.

Balles perdues

« À 4 h 30 du matin, on a été réveillés par les raids aériens. On a fermé toutes les portes et les fenêtres parce qu’on a peur d’une balle perdue », raconte à l’AFP un autre habitant de Khartoum, Nazek Abdallah, 38 ans.

À quelques dizaines de kilomètres de là, la vie suit son cours et des maisons s’ouvrent pour accueillir les déplacés. Traumatisés, ils ont roulé ou marché des heures durant.  

Pour se mettre à l’abri, ils ont dû subir les questions ou les fouilles des hommes aux points de contrôle des FSR du général Daglo et de l’armée du général Burhane, chef de facto du Soudan depuis le putsch qu’ils ont mené ensemble en 2021.

Surtout, ils ont dû progresser au milieu des cadavres qui jonchent les bords de route et éviter les zones les plus dangereuses, repérables aux colonnes de fumée noire qui s’en échappent.

Depuis que la lutte de pouvoir, latente depuis des semaines entre les deux généraux, s’est transformée en bataille rangée, les civils ont aussi fui en nombre à l’étranger.

Entre 10 000 à 20 000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, sont passés au Tchad voisin, selon le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR).  

Des deux côtés, pleuvent les annonces de victoire et les accusations mutuelles, impossibles à vérifier sur le terrain tant le danger est permanent.

L’armée de l’air, qui vise les bases et les positions des FSR disséminées dans les zones résidentielles, n’hésite pas à larguer des bombes, parfois au-dessus d’hôpitaux, ont témoigné des médecins.

Militaires américains déployés

En cinq jours, « 70 % des 74 hôpitaux de Khartoum et des zones touchées par les combats ont été mis hors d’usage », selon leur syndicat : bombardés, ils n’ont plus aucun stock pour opérer ou bien des combattants en ont pris le contrôle, chassant médecins et blessés.

Dans la capitale, « des enfants sont cachés dans des écoles et des garderies au milieu des combats et des hôpitaux pour enfant ont été forcés d’évacuer face aux frappes aériennes », ajoute l’UNICEF.

Les humanitaires ont pour la plupart été forcés de suspendre leur aide, cruciale dans un pays où plus d’un habitant sur trois souffre de la faim en temps normal.

Trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont notamment été tués au Darfour au début des combats.  

Au milieu du chaos général, l’Égypte est parvenue, via une médiation des Émirats arabes unis, à évacuer « 177 de ses soldats » stationnés sur une base aérienne du Nord, selon les deux pays.

Et 27 autres, capturés par les paramilitaires puis remis à la Croix-Rouge, sont à l’ambassade à Khartoum, selon l’armée égyptienne.

Jeudi, les États-Unis ont annoncé dépêcher des militaires dans la région du Soudan pour faciliter une éventuelle évacuation de leur ambassade.

Ce que l’on sait des combats au Soudan

Plus de 300 civils ont été tués depuis samedi, dans la guerre entre les deux généraux aux commandes du Soudan depuis leur putsch d’octobre 2021.

Depuis des semaines déjà, les 45 millions de Soudanais regardaient monter les tensions entre le chef de l’armée, Abdel Fattah al-Burhane, et son numéro deux au sein du pouvoir putschiste, Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », patron des Forces de soutien rapide (FSR).

Comment en est-on arrivé là ?

En octobre 2021, les deux généraux ont fait front commun pour évincer les civils avec lesquels ils partageaient le pouvoir depuis la chute du dictateur Omar el-Béchir en 2019.

« Un mariage de raison », explique à l’AFP le chercheur Hamid Khalafallah. « Ils n’ont jamais eu de partenariat sincère, mais des intérêts communs face aux civils ».

Et les brèches sont rapidement apparues : Hemedti a plusieurs fois dénoncé l’« échec » d’un putsch qui a réinstallé, selon lui, « l’ancien régime » de Béchir.

Puis le conflit s’est intensifié quand il a fallu signer les conditions d’intégration de ses hommes aux troupes régulières – pour finaliser l’accord politique sur le retour des civils au pouvoir.

Pour les experts, cet accord a ouvert la boîte de Pandore : en laissant les militaires négocier entre eux, « Hemedti est passé du statut de second à celui d’égal de Burhane », affirme à l’AFP Kholood Khair, fondatrice du centre de recherche Confluence Advisory.

« Plus autonome face à l’armée », Hemedti a vu une opportunité de réaliser « ses très grandes ambitions politiques », abonde auprès de l’AFP Alan Boswell, en charge de la Corne de l’Afrique à l’International Crisis Group.

Qui sont les FSR ?

Créées en 2013, les FSR regroupent des milliers d’anciens Janjawids, ces miliciens arabes recrutés par Béchir pour sa guerre au Darfour (ouest).

Ce conflit, qui a éclaté en 2003 entre Khartoum et des membres de minorités ethniques non arabes, a fait 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l’ONU. Et valu au dictateur deux mandats d’arrêts de la Cour pénale internationale (CPI) pour « crimes de guerre », « crimes contre l’humanité » et « génocide ».

En 2015, les FSR ont rejoint la coalition emmenée par les Saoudiens au Yémen et, selon des experts, certains de ses hommes combattent aussi en Libye, renforçant les réseaux internationaux de leur patron.

En 2019, les FSR ont été accusées d’avoir tué une centaine de manifestants prodémocratie à Khartoum. Mais malgré tout, « elles ont continué à renforcer leur pouvoir », assure M. Boswell.

Elles comptent aujourd’hui une centaine de milliers d’hommes, selon plusieurs experts.

Et après ?

Les combats actuels sont « une lutte existentielle pour les deux belligérants », poursuit M. Boswell.

Et pour tenir longtemps, au moins un camp s’est ménagé des canaux d’approvisionnement : celui de Hemedti, affirment les spécialistes.

Son bastion du Darfour borde le Tchad où il a « des contacts pour sécuriser » son approvisionnement depuis « le Sahel inondé d’armes et de munitions, depuis la chute de Mouammar Kadhafi en Libye », affirme à l’AFP Eric Reeves, chercheur au Rift Valley Institute.

C’est en Libye aussi que les paramilitaires pourraient trouver leur meilleur allié : peu avant la guerre, Hemedti accueillait en ami le fils de l’homme fort de l’Est libyen, le maréchal Khalifa Haftar. Ce dernier a nié jeudi dans un communiqué tout soutien à l’un ou l’autre des belligérants.

Quelles que soient les implications régionales, prévient Mme Khair, « aucune des deux parties ne sortira indemne ».

« Il est hautement improbable que les deux généraux retrouvent la table des négociations avant que l’un ou les deux subissent de lourdes pertes », abonde la spécialiste.

Des pertes humaines et financières, mais aussi en popularité, car les Soudanais n’oublieront pas les guerres de rues et les civils fauchés par des balles perdues.

« Les deux camps sont assez forts pour qu’une guerre entre eux soit très coûteuse, très meurtrière et très longue », assure M. Boswell. Et surtout, même si l’une des deux parties l’emporte notamment à Khartoum, « la guerre continuera ailleurs dans le pays », créant des bastions rivaux.

« On est déjà dans le scénario du pire et on ira vers des évènements plus dramatiques encore », avec des répercussions possibles dans toute la région, prévient M. Boswell.