(Lagos) Le Nigeria a commencé à proclamer dimanche les tout premiers résultats de la présidentielle après un scrutin très disputé dans le pays le plus peuplé d’Afrique, où les retards pris dans les opérations de décompte ont suscité inquiétudes et accusations de tentatives de fraudes.

Plus de 87 millions d’électeurs étaient appelés samedi à choisir parmi 18 candidats l’homme qui aura la lourde tâche pendant quatre ans de redresser le Nigeria, plombé par une économie en berne, les violences récurrentes de groupes armés et de bandits, ainsi qu’un appauvrissement généralisé de la population.

L’annonce des résultats, État par État, a commencé peu avant 19 h locales, mais va prendre du temps : après avoir donné les chiffres pour Ekiti, un petit État du sud-ouest, la Commission électorale nationale (Inec) a reporté la suite à lundi matin. Le Nigeria compte 36 États et le territoire de la capitale fédérale Abuja.

PHOTO PATRICK MEINHARDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un agent de la commission électorale nigériane à Awka

Plus tôt dimanche, le candidat de l’opposition (PDP), Atiku Abubakar, avait appelé l’Inec à rester neutre et à publier les résultats au plus vite, accusant certains gouverneurs d’essayer de compromettre le processus électoral.

« Ce sera un mauvais service rendu aux Nigérians et une négation de la démocratie si quiconque subvertit la volonté du peuple telle qu’elle s’est librement exprimée dans les urnes hier », a déclaré dans un communiqué l’ancien vice-président, qui brigue la présidence pour la sixième fois.

De son côté, le Parti travailliste du candidat négligé Peter Obi a accusé samedi soir l’Inec de « refuser de faire remonter les résultats » dans l’État de Lagos – qui compte le plus grand nombre d’électeurs inscrits dans le pays (7 millions) – et celui du Delta (sud-est), évoquant des « pressions » du parti au pouvoir (APC).

« Problèmes techniques »

MM. Obi et Abubakar font partie du trio de favoris en compétition avec Bola Tinubu, 70 ans, représentant l’APC du président Muhammadu Buhari, qui se retire comme le veut la Constitution après deux mandats au bilan très critiqué. Considéré comme l’un des hommes les plus influents du pays, cet ancien gouverneur de Lagos, a prévenu : cette fois, « c’est mon tour ».

PHOTO PATRICK MEINHARDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le candidat du Parti travailliste (LP) Peter Obi

Dans un communiqué l’Inec a reconnu des « problèmes techniques » liés à l’utilisation de nouvelles technologies de collecte et de centralisation des résultats de quelque 176 000 bureaux de vote pour la première fois dans une élection nationale. Elle a toutefois assuré que « ces résultats sont en sécurité […] et ne peuvent pas être falsifiés ».

Le vote s’est globalement déroulé dans le calme, malgré quelques incidents sécuritaires et des couacs logistiques, qui ont provoqué des retards, attisant les craintes de manipulation des votes, alors que les scrutins précédents ont été entachés par des accusations de fraudes.

PHOTO PIUS UTOMI EKPEI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le candidat du Parti du peuple démocratique (PDP), Atiku Abubakar

« Laissez le Nigeria décider », a écrit sur Twitter Burna Boy, vedette nigériane de la musique, interpellant la Commission électorale. Ce lauréat des Grammy Awards leur a lancé un avertissement : « N’essayez pas de faire de la magie avec les résultats ».  

La veille au soir, dans plusieurs bureaux à travers le pays, des foules d’électeurs filmaient en direct dans la nuit avec leur téléphone intelligent les dépouillements, comptant à voix haute les bulletins avec les agents électoraux, dans une ambiance festive.

Vers un second tour ?

Situation inédite depuis le retour à la démocratie en 1999, le Nigeria pourrait connaître une présidentielle à deux tours si Peter Obi, qui a réussi à s’imposer comme un challenger sérieux face aux deux partis dominant traditionnellement la politique nigériane, transforme l’essai dans les urnes.

L’ex-gouverneur d’Anambra (sud-est), un chrétien de 61 ans soutenu par le petit Parti travailliste (LP) est très populaire auprès de la jeunesse.

PHOTO MICHELE SPATARI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des électeurs se couvrent de la pluie près d’une station de vote à Abuja.

Ses deux principaux adversaires, rompus à l’exercice du pouvoir, bénéficient d’une vaste assise nationale. Tous deux de confession musulmane, ils comptent aussi rafler de nombreuses voix dans le nord peuplé à majorité musulmane, dans un pays où le vote ethnique et religieux reste déterminant.

Pour être élu dès le premier tour, le vainqueur doit obtenir, outre la majorité des suffrages exprimés, au moins 25 % des voix dans les deux tiers des 36 États de la fédération auxquels s’ajoute le territoire d’Abuja. Sinon un second tour devrait avoir lieu dans les 21 jours.

Ce scrutin est crucial : le Nigeria – 216 millions d’habitants – devrait devenir en 2050 le troisième pays le plus peuplé au monde, tandis que l’Afrique de l’Ouest est menacée par un fort recul démocratique et la propagation de violences djihadistes.

La première économie du continent est devenue une puissance culturelle mondiale, grâce notamment à l’afrobeat, genre musical qui enflamme la planète avec des vedettes comme Burna Boy.

Mais face aux immenses difficultés du quotidien, aggravées par de récentes pénuries, de nombreux Nigérians appellent au « changement », écœurés par des décennies de mauvaise gouvernance et une élite vieillissante, réputée corrompue.

Le Nigeria en dates clés depuis l’indépendance

PHOTO SUNDAY ALAMBA, ASSOCIATED PRESS

Lagos, au Nigeria

Voici les dates clés du Nigeria depuis son indépendance du Royaume-Uni le 1er octobre 1960.

Premier coup d’État

En janvier 1966, le président Nnamdi Azikiwe, un Igbo (ethnie originaire du sud-est), est renversé lors d’un coup d’État mené par Aguiyi Ironsi, de la même ethnie. Ce dernier est tué en juillet lors d’un contre-coup nordiste qui porte Yakubu Gowon au pouvoir.

Guerre du Biafra

En 1967, le pays igbo, dans le sud-est du Nigeria, fait sécession, déclenchant jusqu’en 1970 une guerre civile d’une rare atrocité et une terrible famine qui feront plus d’un million de morts.

Dictature du général Abacha

Les coups d’État militaires ponctuent la vie politique. Le général Sani Abacha prend le pouvoir en 1993 et s’arroge un pouvoir absolu jusqu’à sa mort cinq ans plus tard.

Transition démocratique

Après six coups d’État depuis l’indépendance et des années de dictature militaire, le Nigeria opère en 1999 sa transition démocratique. Olusegun Obasanjo est élu et dirigera le pays jusqu’en 2007.

Charia dans le nord

L’instauration de la charia (loi islamique) dans 12 États du nord en 2000 provoque des affrontements entre chrétiens et musulmans, faisant 3000 morts.

Insurrection de Boko Haram

En 2009, la secte Boko Haram, née en 2002, se transforme en groupe islamiste armé opérant dans le nord-est.

Né d’une scission en 2016, l’Iswap, affilié au groupe État islamique (ÉI), deviendra le groupe djihadiste dominant dans cette zone.

Buhari élu président

En 2015, première alternance démocratique et pacifique du pays : le candidat de l’opposition Muhammadu Buhari, musulman du nord et ancien putschiste, bat le président sortant Goodluck Jonathan. Réélu en 2019, Buhari achève en 2023 son deuxième et dernier mandat.

Mobilisation contre violences policières

En octobre 2020, le mouvement contre les violences policières #EndSARS (« en finir avec la Sars ») – du nom d’une unité spéciale de la police accusée depuis des années de racketter la population, de torture et même de meurtre – secoue les grandes villes.

La mobilisation prend fin quand les forces de l’ordre ouvrent le feu le 20 octobre au péage de Lekki à Lagos, causant la mort d’au moins 11 manifestants pacifiques.

Graves inondations

En 2022, les pires inondations de la décennie font plus de 600 morts durant la saison des pluies et affectent près de 3 millions de personnes dans le pays.