(Vatican) À la mi-décembre, le pape François a participé à une réunion non inscrite à son agenda officiel, qui montre le dysfonctionnement total du processus instauré par l’Église catholique pour traiter le scandale mondial des agressions sexuelles commises par le clergé.

Dans une salle du palais du Vatican, où il réside, le pape a entendu durant une heure un Espagnol qui, lorsqu’il était jeune séminariste, a subi des attouchements par son directeur de conscience. L’ex-séminariste était désespéré.

En 2009, il avait déposé une plainte à l’archevêché de Tolède, en Espagne, et s’était rendu plusieurs fois au Vatican pour déposer des documents incriminants et réclamer des sanctions contre son agresseur et les évêques qui l’auraient couvert. Mais pendant 15 ans, l’Église n’a pas agi.

La décision du pape François d’entendre son histoire est louable et sensée sur le plan pastoral, mais elle prouve le double échec du processus interne de l’Église à traduire les agresseurs en justice et aider les victimes. S’il faut avoir des amis au Vatican et obtenir une audience papale, combien d’innombrables victimes auront-elles toujours l’impression que l’Église se soucie peu d’elles ou de la nécessité de leur rendre justice ?

En 2019, François a convoqué un sommet sans précédent des évêques pour souligner que les crimes sexuels commis par des religieux étaient un problème mondial et qu’ils devaient s’y attaquer. Quatre jours durant, ces évêques ont entendu les récits poignants des victimes et appris comment enquêter sur les prêtres pédophiles et les sanctionner. Ils ont été prévenus qu’ils seraient eux aussi punis s’ils continuaient à protéger les délinquants sexuels.

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En 2019, François a convoqué un sommet des évêques sur les crimes sexuels commis par des religieux.

Cinq ans plus tard, malgré de nouvelles lois canoniques censées responsabiliser les évêques et le ferme propos de mieux faire, le système judiciaire interne de l’Église et sa réponse pastorale aux victimes sont des échecs.

Un processus destructeur

En fait, un nombre croissant de victimes, d’enquêteurs externes et même de juristes de l’Église affirment que le processus élaboré et modifié durant 20 ans de scandales incessants inflige de nouveaux préjudices aux personnes déjà lésées, les victimes. Lorsqu’elles trouvent le courage de dénoncer leur agresseur, elles risquent un nouveau traumatisme face au silence, à l’inaction et à l’obstruction de l’Église.

« C’est une expérience horrible. Je ne conseille ça à personne à moins d’être prêt à voir son monde et même sa perception de soi mis sens dessus dessous », prévient Brian Devlin, un ancien prêtre écossais dont les accusations internes, puis publiques, d’agression sexuelle à l’encontre de feu le cardinal Keith O’Brien ont marqué la chute de ce prélat écossais.

Vous devenez le fauteur de troubles et le dénonciateur. Je peux concevoir que les gens qui s’engagent dans ce processus finissent avec des problèmes plus graves que ceux qu’ils avaient au début. C’est un processus terriblement destructeur.

L’ex-prêtre Brian Devlin

En 2001, le cardinal Joseph Ratzinger a révolutionné le traitement par l’Église catholique des cas de pédocriminalité, en persuadant Jean-Paul II d’ordonner que tous les dossiers lui soient envoyés pour examen.

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Durant le sommet des évêques sur la pédophilie dans l’Église, en 2019, des survivants de sévices sexuels infligés par des prêtres ont manifesté dans la Via della Concilliazione, la rue qui mène à la place Saint-Pierre, visible à l’arrière-plan.

Mgr Ratzinger, après près de 25 ans à la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait constaté que les évêques contrevenaient à la loi de l’Église et déplaçaient les prédateurs d’une paroisse à l’autre au lieu de les sanctionner.

Au terme du sommet de 2019, le pape François a promis d’agir avec « la colère de Dieu » envers les prêtres pédophiles. Il a édicté une nouvelle loi exigeant que tous les cas soient signalés au Vatican (mais pas à la police) et a défini une procédure d’enquête sur les évêques pédocriminels ou ceux ayant protégé des prêtres prédateurs.

Mais cinq ans plus tard, ce processus demeure opaque : le Vatican ne révèle pas combien d’évêques ont fait l’objet d’enquêtes ou de sanctions. Même la commission papale sur la protection de l’enfance affirme que les problèmes structurels du système nuisent aux victimes et entravent la justice.

« Des cas publics récents ont révélé des lacunes tragiques dans les normes censées punir les pédocriminels et exiger des comptes de ceux qui ont le devoir de sanctionner les fautes », affirme la Commission pontificale pour la protection des mineurs. « Nous avons beaucoup tardé à corriger des procédures qui n’aident pas les victimes et ne les informent pas pendant et après le jugement des affaires. »