Un tribunal qui n’explique pas publiquement ses décisions peut-il fonctionner dans la durée et rendre justice ?

Contrairement au tribunal du Vatican – appelé la Rote romaine – qui publie des cas d’annulation de mariage anonymisés, le bureau qui traite les sévices sexuels au Vatican ne publie pas de texte expliquant comment ont été jugés les prêtres ayant commis des agressions sexuelles.

Par conséquent, un évêque saisi d’une accusation portée contre l’un de ses prêtres n’a aucun moyen de savoir comment la loi a été appliquée dans un cas similaire.

Pas de jurisprudence publiée

Les étudiants en droit canonique n’ont pas de jurisprudence à étudier ou à citer. Universitaires, journalistes et victimes n’ont aucun moyen de savoir quels comportements sont punis et si les sanctions sont imposées de manière arbitraire ou pas du tout.

Ainsi, quand le Vatican a annoncé à la mi-mars qu’un ex-évêque belge avait été défroqué par le pape François pour des attouchements sexuels sur des mineurs, la nouvelle parue dans Vatican News a indiqué que son exclusion avait été décidée en conformité avec les Normes sur les délits réservés à la Congrégation pour la doctrine de la foi, mais l’article n’évoque aucune jurisprudence.

Lisez l’article « Un évêque belge destitué par le pape »

Roger Vangheluwe, ex-évêque de Bruges, en Belgique, a été « ramené à l’état laïque » mardi dernier, 14 ans après qu’il eut admis avoir agressé ses deux neveux mineurs durant des années à partir des années 1980. Il incarnait depuis longtemps l’hypocrisie et le dysfonctionnement de l’Église catholique dans le traitement des cas d’agressions sexuelles.

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Roger Vangheluwe, ex-évêque de Bruges, en Belgique, en 2007

Non seulement l’évêque Vangheluwe avait été autorisé à prendre discrètement sa retraite après l’éclatement du scandale en 2010, mais encore son supérieur, le cardinal Godfried Danneels, avait été enregistré en train de demander à l’une de ses victimes de ne rien dévoiler publiquement avant que l’évêque quitte ses fonctions. L’annonce de sa laïcisation jeudi intervient quelques mois avant la visite prévue du pape en Belgique, où l’affaire aurait été une distraction indésirable et problématique.

Selon des juristes indépendants ayant enquêté sur des cas à Munich, en Allemagne, la publication des jugements canoniques réduirait la méfiance des victimes quant à la justice de l’Église. La Commission royale australienne, la plus haute instance d’enquête du pays, a aussi demandé la publication dans des délais raisonnables des jugements, sous forme anonymisée, incluant le raisonnement des juges.

Depuis des années, les avocats canoniques dénoncent la non-publication des jugements, qui renforce les doutes quant à la crédibilité et à l’efficacité de la réponse de l’Église au scandale de la pédophilie. Ainsi, cette opacité a été sévèrement critiquée par Kurt Martens, professeur à la Catholic University of America, lors d’une conférence sur le droit canon à Rome à la fin de 2023.

La non-publication de la jurisprudence des plus hauts tribunaux de l’Église est indigne d’un véritable système juridique.

Kurt Martens, professeur à la Catholic University of America

Mais le cardinal John Kennedy, qui dirige le bureau du Vatican sur les sévices sexuels, affirme que son personnel travaille avec diligence pour traiter les cas et qu’il a reçu des éloges de la part d’évêques, de participants à des conférences tenues à Rome et de supérieurs religieux.

PHOTO ALESSANDRA TARANTINO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le cardinal irlandais John Kennedy, chef du bureau de la Section disciplinaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dans le bureau du Vatican où il traite les dossiers de prêtres accusés de sévices sexuels.

« Nous ne parlons pas publiquement de ce que nous faisons, mais les commentaires que nous recevons – y compris ceux de nos membres qui se sont récemment réunis pour la Plénière – sont très encourageants, a-t-il écrit à l’Associated Press. Le pape a aussi exprimé sa gratitude pour le grand travail accompli en silence. »

Mais ces éloges viennent de la hiérarchie, pas des victimes.

Laissées pour compte

Elles se sentent laissées pour compte, même si elles portent plainte comme le conseille désormais l’Église. Le séminariste espagnol qui a été reçu par le pape au Vatican avait dénoncé son agresseur à l’archidiocèse de Tolède en 2009. Mais l’archevêque de Tolède n’avait ouvert une enquête interne qu’en 2021 et n’avait informé le Vatican qu’après un article du journal espagnol El País sur cette affaire. (L’agence Associated Press n’identifie pas les victimes de sévices sexuels sans leur autorisation.)

En octobre, un tribunal espagnol a reconnu le prêtre pédophile coupable et l’a condamné à sept ans de prison. Une cour d’appel vient d’annuler la sentence pour vice de forme.

Le séminariste est resté en contact avec le pape François. Il se sent « épuisé » par la procédure, mais a néanmoins fait appel auprès de la Cour suprême espagnole, écrit-il dans une lettre récente.

François l’a rappelé immédiatement et l’a encouragé « à continuer à se battre », a-t-il déclaré.

Avec une contribution de La Presse