Dans les deux pays, les enfants apprennent à apprivoiser une vie d’insécurité.

Les Israéliens, tout comme les Iraniens, ont passé la nuit de samedi à dimanche les yeux rivés sur le ciel ou sur leurs écrans. Et, pour bon nombre, dans le bruit assourdissant des drones lancés de leurs terres ou interceptés dans leur ciel, à consoler leurs enfants pas encore rompus à cette vie d’insécurité où tout se joue bien au-dessus de leur tête.

Joint en Israël, l’auteur Yossi Alpher, un ex-agent du Mossad qui a ultimement conseillé l’ex-premier ministre israélien Ehud Barak au cours du processus de paix avec l’Autorité palestinienne en 2000, raconte qu’il était bien conscient que « les missiles pouvaient tomber n’importe où », en fin de semaine.

Mais il avait confiance, dit-il, qu’ils seraient interceptés. « Ça fait 75 ans qu’Israël connaît la guerre, on y est habitués. Ma petite-fille, elle, a eu besoin d’être calmée.

« Dimanche matin, je ne sais pas si les gens étaient fatigués de leur nuit blanche ou s’ils avaient peur, mais les rues étaient désertes [même si c’est un jour de travail dans ce pays]. Depuis, la vie reprend son cours normal. »

Selon M. Alpher, de très nombreux Israéliens « en ont assez de compter leurs morts », en ont « assez de cette guerre avec le Hamas », assez des trop nombreuses victimes palestiniennes. Beaucoup le vivent difficilement et un peu partout, souligne M. Alpher, des affiches bien en vue dans les villes indiquent des numéros où appeler pour avoir un soutien psychologique.

PHOTO SERGEY PONOMAREV, THE NEW YORK TIMES

Des morceaux d’un missile iranien ont été retrouvés à Arad, en Israël.

Cette fois, « la nouvelle dimension, c’est ce choc direct avec l’Iran, sans que qui que ce soit sache si ce sera un épisode isolé ou le début d’une guerre ouverte ».

Tamar Hermann, qui dirige en Israël le Centre Guttman sur l’opinion publique, raconte que pendant quelques heures, en fin de semaine, le temps s’est arrêté.

Les drones et les missiles étaient partis d’Iran et on était là, à attendre qu’ils arrivent sur nous, qui étions impuissants. L’anxiété était palpable.

Tamar Hermann, dirigeante du Centre Guttman sur l’opinion publique

« Il y a ceux qui se sont couchés, il y a ceux qui n’ont pas fermé l’œil de la nuit. Mais au petit matin, dit-elle, pour tout le monde, ç’a été le soulagement de constater que presque rien n’avait été touché. »

Le 7 octobre a fortement ébranlé les Israéliens, depuis longtemps convaincus par leur gouvernement de leur invincibilité sous leur dôme de fer. En fin de semaine, le ciel a résisté et surtout, note Mme Hermann, les Israéliens ont eu l’assurance que leur sécurité tenait toujours à cœur leurs alliés, malgré leurs critiques des derniers mois.

« En fin de semaine, on a gagné une manche, mais pas la victoire. Qu’est-ce qui suivra ? Les Israéliens sont nombreux à penser qu’Israël doit répliquer, mais peut-être au prix de se mettre nos alliés à dos. »

Alors, une petite réplique, parce qu’il faut montrer qu’on ne se laisse pas faire, mais pas trop grosse, parce que risque d’embrasement il y a… Les Israéliens ne sont-ils pas épuisés de vivre ainsi ? N’ont-ils pas envie de fuir ? « On n’a pas le voisinage le plus paisible, répond Mme Hermann. Quand il y a accalmie, certains vont de fait faire leur vie ailleurs. Mais pas quand il y a un réel danger. C’est très mal vu de le faire alors. Et avec la montée de l’antisémitisme au Canada, aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne, avec les manifestations propalestiniennes, les Juifs ne croient pas qu’il y ait vraiment un endroit où ils sont en sécurité de toute façon. »

« Le régime iranien se fout de son peuple »

Du Québec où elle a immigré, Sara* est demeurée ces derniers jours en contact étroit avec ses proches restés là-bas. « Les drones qui décollaient faisaient un bruit d’enfer. Mes neveux et nièces se sont mis à pleurer, ils pensaient que c’étaient des bombes qui tombaient sur la ville. Ils ont commencé à pleurer, à dire qu’ils ne veulent pas mourir. »

Mon enfance, ç’a été huit ans de guerre entre l’Iran et l’Irak. Je n’arrive pas à accepter que leur enfance à eux soit infernale aussi.

Sara

« Samedi, dans la nuit, poursuit-elle, les gens se sont rués en Iran vers les postes d’essence et vers les épiceries qui étaient ouvertes. Car chacun le sait : le lendemain, les prix flamberont », dans un pays déjà étranglé par les sanctions économiques.

Malgré les appels au calme du Canada et des États-Unis, Israël a promis, lundi, « une riposte à l’attaque massive de la fin de semaine ».

PHOTO DE L’ARMÉE ISRAÉLIENNE, FOURNIE PAR REUTERS

Une route endommagée en Israël après l’attaque iranienne

Les Iraniens doivent composer avec cette menace, et « le régime iranien se fout des conséquences sur le peuple », dénonce Sara. « La vie de son peuple ne vaut rien à ses yeux. Personne ne déteste autant le régime iranien qu’une bonne partie de la population d’Iran. »

Comme si la tension maximale entre l’Iran et Israël ne suffisait pas, la police de la moralité a recommencé ses arrestations massives. Dans un reportage diffusé à TV5 il y a quelques jours, on voit de nouveau des jeunes filles dansant, cheveux au vent, être vite arrêtées. Dans les rues, partout, des caméras captent le visage de celles qui ne sont pas couvertes. Elles sont vite identifiées et retracées avec l’intelligence artificielle.

Des cris déchirent fréquemment la nuit. « Mort au régime islamiste », hurlent des Iraniens retranchés chez eux.

À un certain moment, les Iraniens ont cru que la mort de femmes viendrait à bout de l’apathie du monde entier. « Ça n’arrivera pas, craint Sara. Les Iraniens finissent toujours par se retrouver seuls, face à ce régime islamiste. »

* Nom fictif pour éviter tout ennui à sa famille encore en Iran