Des régimes autoritaires multiplient les interventions sur les campus nord-américains pour intimider et faire taire les étudiants et les enseignants de la diaspora qui se montrent critiques à leur égard.

Le problème atteint une telle ampleur, selon un nouveau rapport de l’organisation Freedom House, qu’une université aux États-Unis a jugé utile d’élaborer pour son personnel une liste de sujets « politiquement délicats » susceptibles de générer des pressions indues.

La liste en question évoque notamment « l’indépendance du Tibet », un concept inacceptable pour le gouvernement chinois, et « la perspective critique sur l’hindouisme », thème susceptible d’être mal reçu par le régime indien.

Les pressions en milieu universitaire découlant de la « répression transnationale » ne sont pas nouvelles, mais tendent à gagner en intensité à mesure que les technologies en communication se développent et que le contingent d’étudiants étrangers augmente.

Beaucoup de régimes autoritaires ne considèrent pas leurs ressortissants comme des citoyens libres, mais plutôt comme des sujets qui doivent le rester où qu’ils vivent.

Yana Gorokhovskaia, une des responsables de l’étude de Freedom House

La Chine, ajoute l’analyste, est notamment devenue « beaucoup plus agressive » sur ce plan depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping et multiplie les interventions en milieu universitaire pour prévenir toute expression de dissidence et protéger la réputation du pays.

Le géant asiatique n’est pas le seul à cibler le milieu puisque la Russie, l’Iran et la Turquie sont aussi régulièrement mis en cause. De plus petits pays, comme le Rwanda, dirigé d’une main de fer par le président Paul Kagame, ont aussi été montrés du doigt.

Étudiants visés

Les étudiants qui se mobilisent sur les campus pour dénoncer les violations des droits de la personne survenant dans leur pays d’origine s’exposent à des campagnes d’intimidation et de harcèlement en ligne, voire à des menaces directes, bien qu’elles soient plus rares.

Des étudiants fidèles au régime sont parfois mobilisés pour faire de la surveillance dans les cours et rapporter les propos controversés ou interrompre des conférences ou des rassemblements jugés problématiques.

En 2019, Chemi Lhamo, une étudiante d’origine tibétaine qui a été nommée à la tête de la principale organisation étudiante de l’Université de Toronto, a été bombardée de messages hostiles, dont de nombreuses menaces de viol.

La possibilité que la famille de la personne visée subisse des pressions dans son pays d’origine est aussi fréquemment évoquée.

Marie Lamensch, coordonnatrice de projets à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne, note que les représentants diplomatiques peuvent aussi jouer un rôle dans le processus d’intimidation.

La chercheuse, qui vient d’achever une série d’entrevues sur la question de la répression transnationale, relève que les étudiants chinois visitent souvent le consulat à leur arrivée au pays et se font « prévenir » qu’ils doivent éviter les activités controversées.

Freedom House note que nombre de campus comptent par ailleurs une association d’étudiants et de professeurs chinois liée au Parti communiste chinois susceptible d’intervenir pour faire taire les critiques.

Manque de soutien

Bien que le problème de la répression transnationale soit considérable, les universités sont souvent mal équipées pour y faire face et offrent peu de mécanismes de soutien aux personnes touchées.

Les forces de l’ordre sont souvent mal formées, par ailleurs, pour traiter ce type de situation.

Au Canada, la Gendarmerie royale est plus active à ce sujet, mais je ne pense pas que son approche a percolé jusqu’aux corps de police locaux, qui sont plus susceptibles de recevoir les plaintes.

Yana Gorokhovskaia

Mme Lamensch note que le rôle joué par des intervenants étrangers dans l’intimidation d’étudiants et de professeurs complique les poursuites puisque le Code criminel est mal adapté à ce type de crime « extraterritorial ». Certains juristes ont plaidé pour l’introduction d’un article portant spécifiquement sur la répression transnationale pour faciliter le processus.

Selon l’analyste, la réflexion en cours pour réformer la loi encadrant le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) pourrait mener à des avancées sur le plan juridique, tout comme la commission d’enquête lancée pour faire la lumière sur l’ingérence étrangère chinoise au Canada.

Nombre de victimes d’intimidation en milieu universitaire doivent composer seules avec les pressions venues de l’étranger et paient un lourd tribut psychologique, préférant se couper de leurs proches ou de leur communauté pour éviter de mettre d’autres personnes en danger.

« Même lorsqu’il n’y a pas d’enjeu de sécurité nationale, la répression transnationale affecte les droits d’individus qui devraient pouvoir profiter des libertés propres à la démocratie », souligne Mme Gorokhovskaia.

Des exemples de pression

Un auditoire hostile

PHOTO MUKHTAR KHAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un soldat paramilitaire indien monte la garde lors du Jour de la République à Srinagar, le 26 janvier dernier, au Cachemire sous contrôle indien.

La présence musclée de l’armée au Cachemire indien est dénoncée par des universitaires travaillant à l’étranger, qui risquent ce faisant de susciter l’ire de New Delhi. Une universitaire originaire du Cachemire indien travaillant aux États-Unis a été interrompue, lors de conférences, par des membres hostiles de l’auditoire qui l’ont qualifiée de « terroriste ». Selon Freedom House, elle a aussi reçu de nombreux appels menaçants et des membres de sa famille restés au pays ont reçu la visite d’agents intimidants.

Un Zoom piraté

PHOTO DENIS TANGNEY JR., ARCHIVES GETTY IMAGES

Aperçu d’un des pavillons de l’Université Brandeis, au Massachusetts

Nombre d’évènements en ligne traitant de la situation de minorités ethniques persécutées par le gouvernement chinois ont été perturbés. Une présentation en 2020 de Rahysan Asat, avocate et militante ouïghoure, à l’Université Brandeis, au Massachusetts, a notamment été détournée par des pirates informatiques qui ont fait apparaître à l’écran des messages traitant ses propos de « fake news ».

Des diplomates actifs

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Vue extérieure de la faculté John-Molson de l’Université Concordia

L’Université Concordia a dénoncé publiquement en 2019 les pressions exercées par des représentants diplomatiques chinois pour empêcher la tenue d’une conférence mettant en vedette un militant ouïghour. Des étudiants chinois ont bloqué, par ailleurs, la conférence sur le même thème d’un cinéaste à l’Université McMaster, en Ontario.

De l’hameçonnage

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Vue du pavillon principal de l’Université McGill

Un professeur de l’Université McGill originaire de Hong Kong a indiqué à la chercheuse Marie Lamensch qu’il avait reçu à de nombreuses reprises des courriels visant à installer un logiciel malveillant sur son téléphone. Ces messages survenaient quelques jours après sa participation à des manifestations prodémocratie pour lui signifier, dit-il, qu’« on l’avait à l’œil ».