Vladimir Poutine a appelé les États-Unis à « conclure un accord » pour qu’une partie du territoire ukrainien soit cédée à la Russie afin de mettre fin à la guerre, dans une entrevue accordée à Tucker Carlson et diffusée jeudi.

Le président russe s’est entretenu pendant deux heures avec l’ancien animateur de Fox News ; cette entrevue constitue l’intervention la plus directe du Kremlin auprès du public américain depuis le début de l’invasion de l’Ukraine il y a deux ans.

« Ne serait-il pas préférable de négocier avec la Russie ? De passer un accord ? », a demandé M. Poutine à Tucker Carlson, commentateur conservateur américain, lors de sa première entrevue avec un média américain depuis 2021. « Commencez à respecter notre pays et ses intérêts et cherchez certaines solutions », a-t-il ajouté.

Une grande partie de l’entretien a été consacrée à une leçon d’histoire du Kremlin déjà ressassée sur les revendications historiques de la Russie sur les terres d’Europe de l’Est depuis le IXe siècle, que M. Poutine n’a guère fait d’efforts pour adapter aux oreilles américaines.

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Le président russe, Vladimir Poutine

M. Poutine a également présenté ses justifications bien rodées et fallacieuses de l’invasion de l’Ukraine, affirmant que l’objectif de la Russie était de « mettre fin à cette guerre » que, selon lui, l’Occident mène contre son pays.

Mais M. Poutine a été plus direct que d’habitude quant à la façon dont l’invasion de l’Ukraine par son pays se terminera, selon lui : non pas par une victoire militaire, mais par un accord avec l’Occident.

À la fin de l’entretien, M. Poutine a affirmé à M. Carlson que le moment était venu de discuter de la fin de la guerre parce que « ceux qui sont au pouvoir en Occident ont compris » que la Russie ne serait pas vaincue sur le champ de bataille.

« Si c’est le cas, si la prise de conscience a eu lieu, ils doivent réfléchir à ce qu’il faut faire ensuite. Nous sommes prêts pour ce dialogue », a affirmé M. Poutine.

À une question de M. Carlson sur la possibilité pour l’OTAN d’accepter le contrôle russe sur certaines parties de l’Ukraine, M. Poutine a répondu : « Laissons-les réfléchir à la manière de le faire avec dignité. Il y a des options si la volonté existe. »

La version originale en russe des propos de M. Poutine n’a pas été publiée immédiatement, ce qui a obligé les téléspectateurs à se fier à la traduction doublée dans l’émission de M. Carlson.

« Position partiale »

L’entretien, réalisé mardi, était le premier que M. Poutine accordait à un média occidental depuis le début de la guerre en Ukraine. Alors que M. Poutine a régulièrement accordé des entrevues aux grands médias américains au cours de ses deux premières décennies au pouvoir, son porte-parole a expliqué que le Kremlin avait choisi M. Carlson cette fois-ci parce que ces médias traditionnels adoptent « une position totalement partiale » envers la Russie.

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L’animateur Tucker Carlson

Lorsque M. Carlson lui a donné l’occasion de s’exprimer sur ses efforts pour présenter la Russie comme un défenseur des « valeurs traditionnelles » face à ce qu’il décrit souvent comme un Occident dégénéré et en déclin, le président russe a fait preuve d’une retenue inhabituelle. « La société occidentale est plus pragmatique », a-t-il dit. « Le peuple russe pense davantage à l’éternel, aux valeurs morales. »

Il a ajouté qu’il n’y avait « rien de mal » à suivre la voie occidentale, notant qu’elle avait conduit à « de bons succès dans la production, et même dans la science ». Cette déclaration fait écho à l’affirmation fréquente de M. Poutine, au cours des deux dernières années, selon laquelle il n’est pas en conflit avec l’Occident dans son ensemble, mais avec une élite dirigeante hégémonique.

L’intervention du président russe a mis en évidence sa confiance tactique, alors que ses adversaires doivent faire face à un moment de vulnérabilité : l’Ukraine est en difficulté sur le champ de bataille, l’aide militaire est bloquée au Congrès américain et les politiciens favorables au Kremlin sont en pleine ascension des deux côtés de l’Atlantique.

Au premier rang de ces hommes politiques figure l’ancien président Donald Trump, le candidat républicain à la présidence dont M. Carlson fait souvent l’éloge.

Ce concours de circonstances fait en sorte que l’entretien avec Tucker Carlson intervient au moment où M. Poutine sent qu’il connaît son « heure de gloire », a affirmé Tatiana Stanovaïa, chargée de recherche au Carnegie Russia Eurasia Center.

Selon elle, l’objectif ultime de M. Poutine est de parvenir à un accord de paix en Ukraine qui consoliderait le contrôle de la Russie sur le territoire qu’elle a déjà conquis et d’installer un gouvernement amical à Kyiv. Mais pour y arriver, M. Poutine semble croire qu’il a besoin que les États-Unis fassent pression sur l’Ukraine pour qu’elle engage des négociations sur la fin de la guerre, plutôt que de continuer à résister à l’invasion de la Russie.

« Il pense pouvoir profiter actuellement d’une conjoncture favorable », a-t-elle avancé.

Ce texte a été publié dans le New York Times.

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