Alors que le conflit en Ukraine demeure enlisé, les dirigeants de plusieurs pays européens multiplient les mises en garde relativement à la possibilité d’un choc frontal entre l’OTAN et la Russie dans un avenir rapproché.

Au cours des dernières semaines, plusieurs États baltes et scandinaves membres de l’organisation transatlantique ont affirmé qu’un tel conflit pourrait se concrétiser moins de cinq ans après une hypothétique victoire de Moscou contre Kyiv.

Le gouvernement norvégien a indiqué notamment que le pays disposait d’une fenêtre « d’une, deux, voire trois années » pour intensifier ses préparatifs militaires en vue d’une possible offensive russe.

Le ministre des Affaires étrangères de la Lituanie, Gabrielius Landsbergis, a appelé dans la même veine ses homologues européens à se préparer au pire lors du dernier sommet de Davos.

« Il n’y a aucun scénario dans lequel ça se terminera bien pour l’Europe si l’Ukraine ne réussit pas à gagner », a-t-il déclaré.

L’Allemagne a prévenu qu’une attaque contre un pays membre de l’OTAN en Europe était possible dans une période « de cinq à huit ans ».

Le gouvernement suédois, qui est en voie de terminer son processus d’adhésion à l’OTAN, a averti sa population qu’il était nécessaire de se « préparer mentalement » à une guerre avec la Russie.

La sortie a été dénoncée par les partis de l’opposition, qui ont reproché à Stockholm de se montrer inutilement alarmiste.

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Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, et le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, en point de presse après une rencontre à Bruxelles, en octobre 2023

La rhétorique de ces dirigeants fait écho aux propos du président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui insiste, quasi systématiquement, pour appuyer ses demandes d’aide militaire et économique, sur le fait que Moscou poursuivra ses projets expansionnistes dans le cas d’une victoire contre Kyiv.

L’hypothèse de la victoire russe

Brian Taylor, spécialiste de la Russie rattaché à l’Université de Syracuse, note que le scénario d’une attaque russe contre un pays de l’OTAN paraît « fantasque » puisqu’une telle initiative entraînerait en théorie une réplique militaire collective des autres membres de l’organisation transatlantique.

Les mises en garde qui résonnent à l’heure actuelle découlent notamment, dit-il, de l’évolution de la situation militaire en Ukraine, où la vaste contre-offensive lancée en 2023 par Kyiv n’a pas permis de faire bouger les lignes russes.

Le blocage politique aux États-Unis, où républicains et démocrates ne réussissent pas à s’entendre pour débloquer une nouvelle aide militaire cruciale pour l’armée ukrainienne, joue en faveur de Moscou, qui a repris l’initiative.

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Des résidants se tiennent parmi les décombres près de leur immeuble de Kharkiv, touché par une frappe russe le 23 janvier dernier.

La situation fait craindre que le président russe Vladimir Poutine réussisse à terme à chasser le gouvernement du président Zelensky en le remplaçant par un régime prorusse, et décide, fort de sa victoire, de lancer une nouvelle offensive.

Il [M. Poutine] pourrait s’enivrer de son succès, conclure que l’Occident n’est qu’un tigre de papier et décider de pousser plus loin pour voir ce qui se passe.

Brian Taylor, spécialiste de la Russie rattaché à l’Université de Syracuse

Justin Massie, spécialiste des questions de sécurité rattaché à l’Université du Québec à Montréal, note que l’hypothèse d’une victoire russe en Ukraine fait particulièrement peur dans les pays limitrophes de la Russie.

Moscou, qui a vu son armée durement éprouvée en Ukraine, ne pourrait faire face, dit-il, à une confrontation militaire conventionnelle avec les pays de l’OTAN.

Vladimir Poutine pourrait cependant organiser en sous-main un soulèvement dans un pays donné tout en niant toute responsabilité de manière à mettre l’organisation transatlantique face à un fait accompli comme il l’avait fait en Crimée ou dans l’est de l’Ukraine en 2014, note l’analyste.

Division interne

Les pays membres doivent intervenir en vertu de l’article 5 du traité de l’OTAN si l’un d’entre eux est attaqué, mais la nature limitée de l’opération russe pourrait susciter des divisions dans les rangs de l’organisation atlantique.

« Le fait de miner le principe de l’article 5 serait déjà une victoire énorme pour la Russie », note M. Massie.

De telles divisions pourraient notamment se manifester dans le cas d’un retour au pouvoir de l’ex-président américain Donald Trump, qui a déjà moqué ouvertement l’idée que les États-Unis devraient entrer en guerre pour défendre un petit pays européen.

Nombre d’États européens, note M. Massie, craignent que le retour du politicien controversé mine l’appui américain à l’OTAN et cherchent conséquemment à préparer leur population à la nécessité d’accroître leurs dépenses militaires.

Seuls 11 des 28 pays membres de l’organisation ont consacré l’année dernière l’équivalent de 2 % de leur PIB aux dépenses militaires. Un diplomate occidental a indiqué récemment au New York Times qu’une vingtaine devraient atteindre la cible cette année, témoignant du virage en cours.

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Exercice militaire commun de l’Allemagne et de la Lituanie à Pabradė, en juin 2023

Le gouvernement russe, qui a ouvertement menacé depuis deux ans les pays baltes et scandinaves, assure qu’il n’a aucun intérêt à s’engager dans un affrontement frontal avec l’OTAN.

Ses interventions récentes visent surtout à renforcer les réserves du camp républicain envers l’Ukraine, note M. Taylor, qui comprend les pays limitrophes de la Russie de s’alarmer.

« Leurs mises en garde sont à la fois sincères et stratégiques. Il est impératif pour eux de convaincre leur population de la gravité de la situation », conclut l’analyste.