(Montréal) Les conflits armés récents, incluant la guerre en Ukraine, érodent les barèmes selon lesquels nous analysions précédemment les guerres, alors qu’elles se déroulent de plus en plus dans le cyberespace, et que les conflits se transforment en « guerre totale », selon une étude.

L’article « La première guerre totale et les systèmes sociotechniques de la guerre », rédigé par le professeur adjoint au département de psychologie de l’Université Concordia, Jordan Richard Schoenherr, s’attarde aux guerres récentes en utilisant des modèles psychologiques.

« Le fait est que la guerre est totale. La guerre érode les frontières, les catégories, les règles que nous avons pour nous engager dans un conflit », résume M. Schoenherr, en anglais. Il qualifie l’invasion de l’Ukraine par la Russie de première réelle « guerre totale ».

Qu’est-ce que cela signifie ?

Il s’agit en fait d’une guerre de tous contre tous. Dans ce cas, ce que vous faites, c’est que toutes les ressources, tous les atouts de votre nation, qu’ils soient humains, matériels ou financiers, sont jetés dans l’effort de guerre.

Jordan Richard Schoenherr, professeur adjoint au département de psychologie de l’Université Concordia

Si certains estiment que des conflits plus anciens, comme les guerres napoléoniennes, correspondent à des guerres totales, l’arrivée des technologies et du web ont accentué le flou entre ceux qui sont les réels « ennemis » d’une guerre et les civils.

« Il n’est pas très facile de distinguer les civils des acteurs non civils. Les frontières étaient certainement floues à certains endroits, notamment au Vietnam, au XXe siècle. Mais, ce que l’article veut vraiment dire aujourd’hui, c’est que, au moins en ce qui concerne le conflit entre l’Ukraine et la Russie, les frontières qui existaient auparavant, avec l’introduction de l’internet, se sont maintenant érodées », indique M. Schoenherr.

Les nouvelles technologies se traduisent d’abord par des campagnes de désinformation qui deviennent « la pièce maîtresse d’une certaine forme de guerre », selon le professeur.

L’usage de l’intelligence artificielle et d’hypertrucage (« deepfake »), qui permettent notamment de créer de toute pièce un bulletin de télévisé où un faux présentateur relate de fausses nouvelles, rend les campagnes de désinformation plus efficaces.

« Vous avez ces techniques de guerre de l’information qui sont devenues beaucoup plus sophistiquées que nous ne l’avons jamais vu dans le passé, qui essentiellement, font vraiment douter les gens de leur réalité, ou du moins, ont le potentiel de les faire douter de leur réalité », déclare le professeur.

Ces campagnes de désinformations rendent donc difficile de statuer quand a réellement commencé une guerre, ou de définir quand elle a terminé, transformant les conflits en « une affaire en cours », indique le professeur.

Par exemple, « il y a aussi des parallèles avec la Chine et la façon dont elle interagit avec des pays comme Taïwan, il y a ces attaques persistantes qui durent pendant de longues périodes, des années, voire des décennies à ce stade, et cela commence à se conformer à ce que nous considérons comme une guerre totale », illustre M. Schoenherr.

L’effacement de ces frontières peut également être perçu dans la guerre faisant actuellement rage entre Israël et le Hamas, précise-t-il.

« Depuis longtemps, Israël a surveillé les populations palestiniennes », affirme M. Schoenherr.

Voir la guerre comme un jeu

Les nouvelles technologies n’influencent pas seulement les guerres dans le cyberespace, mais aussi les armes sur le terrain, statue l’étude. L’usage de drones, par exemple, peut contribuer à la déshumanisation des victimes des attaques perpétrées de cette façon.

« Si vous utilisez un drone à distance dans un autre pays, ce que nous appelons aussi la ludification de la guerre, parce que l’utilisation d’un drone donne l’impression de jouer à un jeu vidéo, nous avons aussi cette probabilité accrue de ne pas vraiment promouvoir le réalisme. Il se peut que vous tiriez sur une cible, mais que vous la voyiez de manière abstraite plutôt que comme une manière concrète de tuer un être humain », explique M. Schoenherr.

« C’est un autre problème avec cette guerre totale, parce que nous élevons ces frontières entre ce qui est réel, qui est une cible, ce qui rend beaucoup plus difficile la compréhension des conséquences sous-jacentes de l’engagement dans un conflit. »