Semaine historique pour les femmes au Mexique, où la Cour suprême vient de dépénaliser l’avortement au niveau national. Cette décision va à contre-courant de ce qui se passe chez le voisin américain, mais dans le même sens que la « vague verte » qui déferle depuis quelques années sur l’Amérique du Sud. Questions et réponses avec Marie-Christine Doran, professeure titulaire de l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et directrice de l’Observatoire violence, criminalisation et démocratie.

Comment qualifier cette décision de la Cour suprême au Mexique ?

Une décision absolument historique. Une décision majeure parce que dans le contexte latino-américain, cette dépénalisation totale est vraiment exceptionnelle [voir encadré plus bas]. C’est sûr que le Mexique, qui est un leader en Amérique latine, lance là un signal sans équivoque. Au niveau national, c’est aussi très intéressant parce que c’est une reconnaissance de tous les efforts qui ont été faits par les organisations de défense des droits des femmes et du droit à l’avortement pour en arriver là.

C’est l’aboutissement d’une longue bataille, donc ?

Oui. Une bataille à la fois juridique et sociale. Il y a deux ans, des organisations de défense des droits avaient réussi à obtenir un jugement dans l’État de Coahuila disant que la pénalisation de l’avortement était inconstitutionnelle. Ce précédent juridique a servi à la Cour suprême pour dépénaliser au niveau fédéral. Socialement, au Mexique, comme ailleurs en Amérique latine récemment – en Argentine, au Chili, en Colombie –, le mouvement de femmes pour le droit à l’avortement a été très fort. On parle des fameux « foulards verts ».

Cela survient dans un contexte où le président Andrés Manuel López Obrador a été vivement critiqué pour son déni des organisations féministes et son inaction dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Oui, cela a créé un axe de tension important dans le pays. Il essaie de redorer son image par rapport aux femmes. Peut-être essaiera-t-il de faire du kilométrage sur la décision de la Cour suprême, bien qu’il n’en soit aucunement responsable.

Le Mexique est un pays très catholique. Est-ce qu’il y a eu beaucoup de résistance ?

Je crois qu’au Mexique, contrairement à d’autres pays d’Amérique latine comme le Salvador, le Honduras ou le Guatemala, le mouvement de la droite religieuse catholique est moins développé. Ce n’est pas ça qui prédomine dans l’espace public. On peut y voir un héritage de la Révolution mexicaine. Il y a quelque part l’idée d’une certaine égalité, des droits qui doivent être reconnus constitutionnellement. Il y a aussi le fait que les gens sont très conscientisés au problème des féminicides et au fait que d’innombrables femmes sont victimes de viols au Mexique. Je pense que cela a aussi à voir avec l’acceptation sociale par rapport à cette décision.

L’avortement est toujours interdit dans une demi-douzaine de pays d’Amérique latine. La décision mexicaine peut-elle avoir un effet d’entraînement ?

On ne peut pas le prédire. Mais je pense que cela peut donner de l’énergie et de l’espoir aux femmes et aux organisations qui militent pour le droit à l’avortement ailleurs sur le continent. Il y a des pays en Amérique centrale où des femmes sont en prison depuis 10 ans pour des avortements, parfois même plus. Il y a une femme au Salvador qui a été condamnée à 30 ans de prison pour un avortement, pour allégations d’un viol non avéré.

Techniquement, on peut donc avoir un avortement dès aujourd’hui dans n’importe quelle clinique mexicaine ?

Ce n’est pas absolument clair. Ce que le jugement dit en ce moment, c’est que toute femme qui se présente dans un établissement fédéral peut obtenir un avortement, mais que les lois des différents États ne seront pas invalidées immédiatement. Ce qu’on sait, par contre, c’est qu’actuellement, il y a quelque 200 femmes qui sont emprisonnées pour avoir eu recours à l’avortement, et que ces dernières vont être immédiatement libérées.

L’avortement autour du globe

L’avortement est légal en Argentine, en Colombie, à Cuba et en Uruguay.

L’interruption volontaire de grossesse est illégale au Chili, sauf en cas de risque pour la santé de la mère, de viol ou de malformation du fœtus. Idem au Brésil.

L’avortement est totalement interdit au Venezuela, au Salvador, au Honduras, au Nicaragua, en Haïti et en République dominicaine.

Ailleurs dans le monde, il est strictement interdit en Égypte, en Irak, au Gabon, en Mauritanie, en Sierra Leone, au Sénégal, à Madagascar, au Laos et aux Philippines…

Dans certains pays européens, les règles pour l’accès à l’avortement ont été durcies ces dernières années. En Hongrie, depuis septembre 2022, une femme souhaitant avorter doit être confrontée aux « fonctions vitales » du fœtus, comme écouter son rythme cardiaque.

Sources : Agence France-Presse, Focus2030.org