La FIFA, qui avait été durement critiquée à la suite de l’attribution de la Coupe du monde masculine de soccer au Qatar, se retrouve de nouveau sur la sellette en raison de ses liens avec une pétromonarchie moyen-orientale.

L’ajout projeté de l’agence touristique officielle de l’Arabie saoudite à la liste des commanditaires de la Coupe du monde féminine de soccer qui se tiendra l’été prochain suscite une vive controverse même si les dirigeants de l’organisation sportive n’ont toujours pas annoncé de décision officielle à ce sujet.

Les deux pays hôtes de l’évènement, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, réagissant à des fuites médiatiques, s’étaient dits « choqués » il y a quelques semaines par la possibilité d’une telle association et avaient réclamé des précisions de la FIFA, qui tardent à venir.

Nombre d’athlètes de renom ont relevé depuis qu’il serait aberrant d’associer la Coupe du monde féminine de soccer à un régime autoritaire qui traite les femmes de manière discriminatoire et n’hésite pas à persécuter les militantes réclamant l’égalité. L’oppression des personnes LGBTQ+ est aussi évoquée comme raison de s’y opposer.

Un régime répressif

Human Rights Watch (HRW) a indiqué que l’association envisagée par la FIFA démontre un « manque choquant de considération » pour ces abus et témoigne de la nécessité pour l’organisation sportive de « finalement » tenir compte de ses engagements en matière de défense des droits de la personne.

« La Coupe du monde féminine de soccer est une fête et une célébration du talent et de la diversité qui existe dans le milieu – ça ne doit pas devenir l’occasion de blanchir la réputation d’un gouvernement qui viole les droits de la personne », a souligné Minky Worden, directrice des Initiatives mondiales chez HRW.

PHOTO REEM BAESHEN, ARCHIVES REUTERS

Des spectatrices encouragent les joueurs d’un match de soccer organisé à Jeddah.

« Il serait extrêmement ironique que l’agence touristique saoudienne commandite la plus grande célébration du sport féminin de la planète alors qu’une femme du pays ne peut même pas obtenir un emploi sans recevoir l’aval d’un tuteur masculin », a relevé une responsable de la section australienne d’Amnistie internationale, Nikita White, qui décrit l’association projetée avec la FIFA comme un « cas classique de blanchiment par le sport ».

Le régime saoudien, a-t-elle noté dans un communiqué, a fait grand cas au cours des dernières années de la libération de militants, incluant des femmes ayant revendiqué le droit de conduire, mais continue de « mettre en prison à l’issue de procès injustes » toute personne qui critique ses agissements, notamment en matière d’égalité.

Amnistie internationale cite notamment le cas de Salma al-Shehab, une étudiante au doctorat, qui a été condamnée en août 2022 à 34 ans de prison après avoir été gardée en isolement pendant plus de neuf mois.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB D’AMNISTIE INTERNATIONALE

Salma al-Shehab

Elle a été déclarée coupable d’utiliser son compte Twitter, qui comptait 2 000 abonnés, pour soutenir des militantes des droits des femmes.

Le régime saoudien a éliminé certaines restrictions imposées aux femmes depuis 2018, mais a enchâssé en 2022 par une loi un système de tutorat « discriminatoire » qui maintient, selon Amnistie internationale, les femmes dans une position de dépendance forcée face aux hommes sur nombre de sujets.

Enjeu de façade

Chip Pitts, un conseiller indépendant en matière de responsabilité des entreprises, note que l’idée d’associer la Coupe du monde féminine de soccer à l’Arabie saoudite semble sortir tout droit du cerveau d’un scénariste de l’émission humoristique Saturday Night Live.

« C’est une tentative de blanchiment par le sport évidente qui est à la fois hypocrite et choquante », souligne l’analyste.

Riyad, dit-il, veut diversifier son économie et favoriser le tourisme, et cherche pour ce faire à redorer son image sur la scène internationale en s’associant à de grands évènements sportifs.

Le régime a aussi dépensé des centaines de millions pour créer un nouveau circuit de golf professionnel, investi dans un club de soccer de la Premier League anglaise et recruté à grands frais le joueur vedette Cristiano Ronaldo.

PHOTO AL-NASSR FC, FOURNIE PAR REUTERS

Le footballeur Cristiano Ronaldo célèbre le Jour de la fondation de l’Arabie saoudite en costume d’apparat traditionnel avec des membres du Al-Nassr FC, à Riyad, le 22 février dernier.

Malgré ses prétentions réformistes, le régime demeure une « brutale dictature », indique M. Pitts, qui s’alarme du fait que la FIFA puisse envisager une telle association alors qu’elle est tenue, en principe, de faire la promotion des droits de la personne.

« Il y a beaucoup de mauvaise foi à la tête de l’organisation », relève le spécialiste, qui a été estomaqué durant la Coupe du monde masculine de soccer de voir le président de la FIFA, Gianni Infantino, fustiger les personnes critiquant le bilan du Qatar en matière de droits de la personne.

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, note que le régime saoudien, sous l’impulsion du prince héritier Mohammed ben Salmane, connaît des transformations sociales et économiques réelles qui ne peuvent être écartées comme une « simple façade ».

« Ça ne veut pas dire que le pays se démocratise. Il demeure très répressif, particulièrement pour les femmes », souligne M. Juneau, qui voit dans l’association projetée de Riyad avec la FIFA une manifestation de la rivalité opposant le pays au Qatar.

« Ils veulent blanchir leur image à l’international, mais il y a aussi une question de soft power. Ils se disent : ‟Si le Qatar l’a fait, on le fait aussi” », relève le professeur.

Lisez le dossier « Droits de la personne : le sport lave-t-il plus blanc ? »