(Adana et Kahramanmaraş) Le puissant séisme de la semaine passée, qui a fauché des milliers de vies, a aussi chamboulé la vie des réfugiés syriens du sud-est de la Turquie, qui ont l’impression que le sort s’acharne contre eux.

« C’est une crise dans une crise. On a déjà eu les réfugiés, la pandémie et l’inflation, mais ce sont toujours les gens les plus pauvres qui souffrent le plus », dit d’entrée de jeu John Scott, cofondateur de l’ONG Anything for a Smile. Depuis une semaine, son équipe prend la route chaque jour d’Adana pour apporter un peu d’aide dans les zones dévastées par le séisme.

Cet Américain d’origine, qui vit depuis 25 ans dans la région, n’en est pas à sa première situation d’urgence. Il a notamment aidé lors du séisme de 1999 qui avait touché entre autres Istanbul. Mais cette situation est la pire qu’il n’a jamais vue.

« Nous essayons d’envoyer le plus d’aide possible à ces familles. Nous ne pouvons pas les laisser comme ça », dit-il, avant de s’effondrer en pleurs, encore traumatisé par toutes les scènes d’apocalypse et de mort qu’il a vues ces derniers jours.

Beaucoup de réfugiés syriens habitent les zones ravagées par le séisme, qui concentrent aussi de nombreuses personnes vulnérables, avec peu de ressources.

PHOTO ROMAIN CHAUVET, COLLABORATION SPÉCIALE

Une semaine après le séisme, les cicatrices qui témoignent de sa violence sont omniprésentes.

Parmi eux, Hibe, une jeune Syrienne de 16 ans, qui depuis lundi doit affronter un nouveau traumatisme. Après avoir fui la guerre dans son pays, elle doit maintenant faire face à la perte de plusieurs membres de sa famille à Kahramanmaraş. « Nous sommes venus ici pour une meilleure vie, mais maintenant, nous vivons un désastre », dit-elle, les larmes aux yeux.

À côté d’elle, Ibrahim, un garçon de 12 ans qui, dans un anglais approximatif, explique préférer le joueur de soccer Cristiano Ronaldo à Lionel Messi. Passionné de soccer, il a tout juste eu le temps de prendre un ballon de sa maison lors du tremblement de terre.

Insouciant de ce qu’il se passe réellement, il prend la balle et joue en riant avec ses amis. Pendant ce temps, sa sœur aînée récupère des couvertures pour la prochaine nuit, qui sera à nouveau sous le froid.

D’importants besoins

À Kahramanmaraş, épicentre du séisme de lundi dernier, la dévastation est totale. La ville de près de deux millions d’habitants est presque entièrement détruite. La poussière et les débris sont omniprésents. C’est la désolation totale. De nombreux résidants ont construit des abris de fortune dans toute la ville, sur des trottoirs, dans des parcs, dans la gare d’autobus ou encore dans des champs.

Une équipe de l’ONG Anything for a Smile est allée sur place en fin de semaine pour apporter de l’aide dans un parc situé dans les hauteurs de la ville détruite. Autrefois lieu prisé pour les barbecues et une aire de jeux pour les enfants, le parc fait désormais office de refuge pour des centaines de personnes.

Ce jour-là, l’ONG leur apporte des matelas, des couvertures, des habits et de la nourriture. Tous se précipitent vers le camion qui vient tout juste de s’arrêter, affamés et frigorifiés.

Avec le drame, beaucoup ont perdu le peu qu’ils avaient et n’ont plus les moyens de survivre, ce qui pourrait créer des tensions, notamment avec les ONG.

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John Scott (au centre), cofondateur de l’ONG Anything for a Smile

C’est arrivé lors du séisme à Istanbul. Nous avons dû prendre des agents de sécurité avec nous ou être accompagnés par les forces policières. Dans ces situations, il faut prendre des précautions.

John Scott, cofondateur de l’ONG Anything for a Smile

Au cours de la fin de semaine, une ONG israélienne a annoncé l’arrêt de ses opérations en raison d’une « menace sérieuse » à la sécurité de son équipe sur place, tandis que l’armée autrichienne et une association allemande avaient temporairement pris une décision similaire. Pour l’instant, l’ONG de John Scott n’a pas vécu ce genre de situation, mais la prudence reste de mise, dit-il.

Sur les hauteurs de ce parc de Kahramanmaraş, une femme ne cesse de pleurer. Emine n’a toujours pas de nouvelles de plusieurs membres de sa famille, dont son fils. Ils sont sous les décombres depuis lundi.

« Je suis tellement en colère contre les gens qui ont construit ces maisons, ils ont joué avec la vie des gens », dit-elle en montrant du doigt les mains de son amie, qui tient un petit paquet de biscuits.

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Emine attend toujours des nouvelles de sa famille.

« Ma maison n’est désormais que du sable, tout est détruit, il ne reste même pas la taille de ce paquet de biscuits », explique-t-elle en hurlant de douleur. Impossible de penser à l’avenir tant qu’elle n’aura pas retrouvé le corps de son fils.

Ce n’est que le début

Ces scènes de désolation sont omniprésentes à Kahramanmaraş et en deviennent parfois même choquantes. Partout, des sinistrés tentent de survivre comme ils le peuvent, avec presque rien. Des bénévoles venues d’Istanbul pour prêter main-forte à l’ONG ne peuvent pas retenir leurs larmes quand elles remontent dans le minibus pour aller de zone en zone où les besoins sont les plus urgents.

« Ce tremblement de terre nous a fait perdre tellement de monde en quelques secondes. Quand vous voyez ces situations, vous ne pouvez que pleurer, vous ne pouvez pas retenir vos larmes, même si vous êtes fort au fond de vous », dit Mahmoud Alrawi, qui travaille à l’ONG depuis plusieurs années.

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Leurs domiciles détruits, des sinistrés n’ont d’autre choix que d’ériger des camps de fortune pour survivre à l’hiver.

L’aide est arrivée aux sinistrés de plusieurs régions dans les derniers jours. Mais le nombre de personnes touchées par ce séisme et la vaste région concernée ne permettent pas de répondre à tous les besoins. Une semaine après le séisme, l’incertitude quant à l’avenir est grandissante.

« Ça va probablement être une crise sur le long terme », dit cet autre employé de l’ONG, qui redoute des mois de crise. « Il y a tellement de gens dans la rue. Ils n’ont même pas de toilettes où aller. Que va-t-il leur arriver après dix jours ? Peut-être qu’il y aura des bactéries ou même des maladies », ajoute Metehan Yeltekin.

À cela s’ajoutent aussi, déjà, les craintes que la situation en Turquie et en Syrie ne tombe dans l’oubli. Alors que nous nous apprêtons à repartir, Hibe, la jeune Syrienne de 16 ans, se précipite derrière nous et me prend la main. En me fixant droit dans les yeux avec un sourire, elle me dit : « ne m’oublie pas, surtout ».