(Jérusalem) Après une pause dans l’opposition, Benyamin Nétanyahou a renoué jeudi avec le pouvoir en formant le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël qui suscite déjà de vives inquiétudes.

Vainqueur des législatives du 1er novembre, M. Nétanyahou avait présenté dans la matinée son équipe ministérielle aux députés, avant la tenue en après-midi d’un vote de confiance remporté par une majorité de 63 élus sur les 120 du Parlement et de sa prestation de serment.  

Le retour de Benyamin Nétanyahou a été salué par le président russe Vladimir Poutine tandis que le président américain Joe Biden a qualifié le premier ministre nouvellement investi d’« ami depuis des décennies ».

De son côté, le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui a critiqué la neutralité observée par Israël depuis l’invasion de son pays par la Russie, a souhaité à Benyamin Nétanyahou « du succès sur la voie de la prospérité et de la sécurité ».  

« Nous avons quatre missions principales : contrecarrer les efforts de l’Iran pour se doter d’un arsenal nucléaire, ramener la sécurité et la souveraineté à l’intérieur d’Israël, lutter contre la cherté de la vie et des logements, et élargir le cercle de la paix », en normalisant les relations avec d’autres pays arabes, a déclaré en soirée M. Nétanyahou lors de son premier Conseil des ministres.

« Nous sommes un gouvernement uni, partageant les mêmes objectifs et la même vision alors maintenant : en avant et au travail ! », a-t-il ajouté lors de cette réunion, tout sourire aux côtés de ses alliés politiques.

Inculpé pour corruption dans plusieurs affaires, le chef du Likoud (droite) avait été chassé du pouvoir en juin 2021 par une coalition hétéroclite avant de promettre un retour aux affaires en s’alliant avec des partis ultra-orthodoxes et d’extrême droite.

Sa coalition comprend notamment les formations « Sionisme religieux » de Bezalel Smotrich et « Force juive » d’Itamar Ben Gvir, connus pour leurs propos anti-palestiniens et leurs positions favorables à l’annexion d’une partie de la Cisjordanie, et « Noam » d’Avi Maoz, ouvertement anti-LGBTQ+.

En dépit de la présence de ce parti dans le gouvernement, les députés ont élu Amir Ohana comme président du Parlement, une première pour un député ouvertement homosexuel dans ce pays.  

Des centaines de personnes, dont plusieurs arborant le drapeau arc-en-ciel ou faisant état de sympathies à l’égard des Palestiniens, manifestaient jeudi devant le Parlement contre le nouveau gouvernement.  

« Il s’agit du gouvernement le plus sombre, le plus raciste, le plus mauvais que nous pouvions imaginer », a déclaré Niv, un manifestant sur place.  

« Soif de pouvoir »

Dans ce nouveau gouvernement, MM. Smotrich et Ben Gvir sont respectivement responsables des colonies en Cisjordanie et de la police israélienne, dont des unités opèrent aussi dans ce territoire palestinien occupé depuis 1967 par Israël.

La procureure générale, Gali Baharav-Miara, a récemment dit craindre des réformes réduisant le pouvoir des juges et d’une « politisation des forces de l’ordre » qui « porterait un coup sérieux aux principes les plus fondamentaux de l’État de droit ».

Le chef d’état-major de l’armée Aviv Kochavi s’est dit inquiet de la création d’un second poste de ministre, celui de M. Smotrich, au sein même de la Défense pour superviser la gestion civile de la Cisjordanie.  

L’ambassadrice d’Israël en France, Yael German, une proche du premier ministre sortant Yaïr Lapid, a remis jeudi sa démission disant que le programme du gouvernement était contraire « à ma conscience, à ma vision du monde et aux principes de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël »

Pour de nombreux analystes, M. Nétanyahou a multiplié les concessions à ses partenaires dans l’espoir d’obtenir une immunité judiciaire ou l’annulation de son procès pour corruption.

« Ce gouvernement est l’addition de la faiblesse politique de Nétanyahou, compte tenu de son âge et de son procès, et du fait qu’on a une nouvelle famille politique, liée à la droite révolutionnaire, que l’on n’avait jamais vu avec cette force en Israël », explique à l’AFP Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’Open University d’Israël.

« Explosion » ?

Dans la foulée de la dernière guerre entre le Hamas et Israël à Gaza en mai 2021 et des violences récentes en Cisjordanie, les plus graves depuis la fin de la Seconde intifada (2000 à 2005), la crainte d’une escalade militaire avec les Palestiniens est bien présente.  

Il y a de nombreuses lignes rouges : Al-Aqsa, l’annexion [de la Cisjordanie], le statut des prisonniers palestiniens (en Israël)… Si Ben Gvir, à titre de ministre se rend à Al-Aqsa, ce sera une grande ligne rouge de franchie et cela mènera à une explosion.

Basem Naim, haut responsable politique du Hamas

M. Ben Gvir s’est déjà rendu ces derniers mois sur l’esplanade des Mosquées (mont du Temple pour les juifs), lieu saint au cœur des tensions israélo-palestiniennes à Jérusalem-Est.    

En vertu d’un statu quo historique, les non-musulmans peuvent s’y rendre mais pas y prier, mais la visite d’un ministre israélien en fonction sur ce site serait perçue comme de la provocation parmi les Palestiniens.

« Si le gouvernement agit de manière irresponsable, cela pourrait provoquer une crise sur le plan de la sécurité », s’est inquiété le ministre sortant de la Défense, Benny Gantz.  

« Ce nouveau gouvernement d’extrême droite ne nous effraie pas », a affirmé jeudi le premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh, lors d’un rassemblement réunissant des milliers de personnes à Ramallah pour marquer l’anniversaire du Fatah, le parti laïc au pouvoir en Cisjordanie. Et d’ajouter : « nous allons rester debout jusqu’à la victoire et l’établissement d’un État palestinien ».