Dans le cadre d'une collaboration spéciale avec Singa-Québec, organisme voué à l'intégration des immigrés, La Presse a invité des réfugiés à apprendre les rudiments du métier avec des journalistes de la salle de rédaction et à publier dans ses pages sur des sujets de leur choix.

Pour la plupart des familles syriennes, l'épreuve de l'immigration sera l'occasion de souder les liens. Mais pour d'autres, le choc culturel sera tel que le couple n'y survivra pas. Trois d'entre eux nous ont raconté leur histoire.

NOUR MAHMOUD*

Originaire d'Alep, cet entrepreneur quinquagénaire a travaillé en Arabie saoudite. Il vit aujourd'hui dans les Maritimes.

« Je suis arrivé au Canada avec ma femme et mes trois filles. Nous étions parrainés par mon beau-frère. À notre arrivée au Canada, il a incité ma femme à ouvrir un compte bancaire en son nom personnel et à refuser d'ouvrir un compte conjoint. Nous avons eu, ma femme et moi, une dispute à propos de l'argent versé par mon beau-frère pour nous parrainer. Par la suite, ma femme m'a demandé de quitter la maison parce qu'elle voulait vivre seule avec mes filles. Et maintenant, je vis seul depuis huit mois et je n'ai pas le droit de voir mes filles ou de leur parler. Dieu témoigne que je n'ai rien fait de mal. J'habitais dans les pays du Golfe avec ma femme et mes filles, et on avait une vie qui était pleine d'amour. Je réfléchis beaucoup. J'ai perdu beaucoup. J'ai perdu mon pays, je me suis perdu moi-même, j'ai perdu ma femme et j'ai perdu mes filles. »

SARA AHMED*

Originaire de Damas, cette mère célibataire de quatre enfants vit aujourd'hui en Ontario.

« Quand je suis arrivée au Canada avec ma famille, nous étions très heureux. Nous voulions recommencer notre vie. Mon mari était un homme religieux et honnête. Mais avec le temps, après avoir inscrit les enfants à l'école, suivi des cours d'anglais et installé une routine, j'ai remarqué que mon mari s'était isolé. Il s'assoyait seul pendant de longues heures dans sa chambre et criait si les enfants s'adressaient à lui. J'ai essayé de comprendre ce qui se passait, mais il répondait toujours qu'il était fatigué et qu'il voulait se reposer et dormir. Un jour, je suis entrée dans la chambre et je l'ai surpris en train d'avoir une relation sexuelle virtuelle avec une femme par Skype. Il m'a dit que cette femme était sa maîtresse et qu'il voulait rompre avec moi pour pouvoir l'épouser, parce que je n'ai pas le corps qu'il aime. Pendant les jours qui ont suivi, il a quitté la maison et négligé toute responsabilité envers les enfants. Il est allé vivre avec son amoureuse et nous avons divorcé. Maintenant, je m'occupe seule de mes quatre fils. Je me questionne tous les jours. Est-ce que j'ai traversé ces milliers de kilomètres pour me retrouver en exil, toute seule, à m'occuper de quatre enfants ? »

HAYTHAM ADHAM*

Âgé de 42 ans, cet ingénieur de formation vit aujourd'hui à Toronto.

« Je vivais avec ma femme en Arabie saoudite et notre vie était plutôt calme. Ma femme était religieuse et portait le voile et le code vestimentaire islamique. Plusieurs mois après son arrivée au Québec et son admission à l'école de francisation, elle revenait chaque jour avec des idées de liberté et d'ouverture qui ne correspondaient pas à la façon dont j'ai été élevé toute ma vie. Elle m'a dit qu'elle voulait enlever le voile parce qu'elle était gênée dans la classe de francisation et que le voile lui causait un embarras. Elle a fini par enlever son voile et je ne pouvais pas l'interdire, car je sais que les lois ici au Canada protègent les droits des femmes et que l'homme n'a aucun pouvoir sur la femme. J'ai accepté la situation avec amertume, mais chaque jour, je sens que je vis dans un état de schizophrénie. Je n'arrive pas à accepter ma femme sans voile et avec des vêtements courts montrant ses charmes à tout le monde. Je ne peux pas vous cacher que mes sentiments envers elle ont commencé à changer. Ce n'est plus la femme avec qui j'ai partagé 10 ans d'amour et d'affection. Je pense sérieusement au divorce. Mais... il faut toujours penser aux enfants, car c'est eux, la priorité. Je crains de les laisser seuls et j'ai peur de l'influence de leur mère sur eux. »

* Noms d'emprunt

IBTEHAL KADDOUR

Syrienne d'origine, elle travaille aujourd'hui pour l'organisme PRAIDA, qui accompagne les demandeurs d'asile.

« L'une des raisons du divorce chez les Syriennes de la diaspora est l'influence de la société d'accueil. Dans les sociétés arabes, les femmes peuvent décider de maintenir leur vie conjugale afin de préserver une certaine réputation. En arrivant au Canada, elles sont débarrassées de ces obligations. Une autre cause du divorce est le facteur financier dans son pays d'origine, elle est incapable de se soutenir elle-même et ses enfants financièrement, mais dans les pays d'immigration, elle reçoit l'aide sociale et les allocations familiales du gouvernement, ce qui lui donne une indépendance. Par contre, quelques cas de divorce ne représentent pas ce que vivent la majorité des familles. Beaucoup de familles immigrantes maintiennent leur cohésion familiale. Souvent, l'immigration a consolidé les liens d'amour dans une même famille. »

***

ROA AL-KAYAL

Âge : 40 ans

Origine : Syrie

Arrivée au Canada : 2013

Née à Homs, en Syrie, Roa est arrivée au Canada en 2013 en vertu du programme d'immigration de travailleurs qualifiés. Avant son arrivée, elle était enseignante en chimie aux Émirats arabes unis. Aujourd'hui établie à Montréal avec son fils de 12 ans, elle a occupé plusieurs emplois, avant de retourner aux études. Lorsque les réfugiés syriens ont commencé à arriver au Canada, elle a eu envie de les aider et, ainsi, « de redonner l'aide [qu'elle avait] reçue du Canada ». Auteure d'un blogue pour aider les immigrants à s'établir au Québec, elle souhaite retourner un jour enseigner dans une école à Montréal.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Roa Al-Kayal

Photo fournie par Ibtehal Kaddour

Ibtehal Kaddour