Cultiver toujours plus de riz est l'obsession des autorités du Vietnam communiste, déjà deuxième exportateur mondial. Mais le régime continue d'exiger davantage des agriculteurs du fertile delta du Mékong, au mépris de l'environnement.

Nguyen Hien Thien est riziculteur comme l'étaient ses parents. Et sa vie se résume à des milliers d'heures passées dans les rizières. À tel point qu'il n'a même jamais visité Can Tho, une ville à seulement 10 kilomètres de sa ferme dans la région du delta du Mékong.

«Quand j'étais enfant, nous produisions une récolte de riz par an, aujourd'hui trois. C'est beaucoup de travail», confie-t-il, au bord de son petit champ de riz.

Une grande famine en 1945 et des pénuries alimentaires dans les années d'après-guerre ont conduit le gouvernement à adopter une politique du «riz avant tout».

Aujourd'hui, le pays produit ainsi beaucoup plus que nécessaire pour nourrir sa population de 90 millions d'habitants, ce qui a donc permis au pays de doper ses exportations.

Depuis les années 70, les rendements de riz ont quasiment quadruplé, grâce à une variété à haut rendement et la construction d'un réseau de digues. Par ailleurs, de plus en plus de terres sont cultivées et des quotas sont en place pour empêcher les agriculteurs de passer à d'autres cultures.

Mais les experts s'inquiètent car ce développement de la culture intensive, en particulier le passage à trois cultures par an, fait des ravages.

Difficultés croissantes

«Les politiciens veulent que le pays soit le premier ou le deuxième exportateur de riz au monde. En tant que scientifique, j'aimerais qu'on en fasse plus pour protéger les agriculteurs et l'environnement», explique Vo Tong Xuan, expert en agriculture.

Selon lui, en produisant trois récoltes par an, le Vietnam ne produit que du riz de faible qualité et les riziculteurs doivent utiliser davantage de pesticides et d'engrais.

Il estime qu'il faudrait que les agriculteurs se diversifient, des noix de coco aux fermes de crevettes, et que le pays devrait se concentrer sur l'amélioration de la qualité et chercher à vendre son riz à des prix plus élevés.

Actuellement, la majeure partie du riz vietnamien est exportée à des prix très bas via des contrats de gouvernement à gouvernement gérés par de grandes entreprises d'État comme la Southern Food Corporation, connue sous le nom de Vinafood 2.

«Au cours des cinq dernières années, la tendance est plutôt au riz de qualité inférieure», admet Le Huu Trang, de Vinafood 2.

Certains observateurs affirment que les entreprises publiques touchent des commissions occultes sur ces énormes contrats, et ont donc intérêt à maintenir le statu quo.

Mais malgré les difficultés croissantes - intrusion d'eau salée, sécheresse ou augmentation des inondations dans le delta - sans parler de la pollution chimique agricole -, il est aussi difficile de convaincre les agriculteurs de changer.

«L'état d'esprit qui prévaut est de cultiver trois récoltes... nous devons expliquer qu'il serait mieux d'en produire seulement deux», explique Nguyen Tuan Hiep de la société Co Do Agriculture.

Au cours des vingt dernières années, Co Do, gérée par l'État, a identifié les meilleures terres pour la culture du riz dans le delta et aidé les agriculteurs à développer leurs fermes. Ils travaillent maintenant avec 2500 familles sur 5900 hectares de terres (contre moins d'un hectare en moyenne pour les exploitations rizicoles dans le delta).

L'entreprise investit massivement dans les semences de haute qualité, travaille à l'amélioration de l'irrigation et de l'usage des pesticides et engrais.

La menace du changement climatique

Le système actuel de digues, faites pour prévenir les inondations, est néfaste à la fertilité du sol, explique également Tran Ngoc Thac, directeur adjoint de l'Institut de recherche sur le riz du Vietnam.

Le changement climatique est un autre facteur qui menace le delta, selon la vice-présidente du groupe de la Banque mondiale et envoyée spécial pour le changement climatique Rachel Kyte, plaidant pour des aides à la reconversion à d'autres cultures comme l'aquaculture.

Les scientifiques tentent par ailleurs de créer de nouvelles variétés de riz nécessitant moins d'engrais et pouvant survivre dans des conditions météorologiques extrêmes.

«Si les agriculteurs ne changent pas, si nous ne pouvons pas trouver une nouvelle variété appropriée de riz, la pollution continuera et les revenus vont baisser» dit Tran Ngoc Thac, ajoutant que ces mesures sont indispensables pour sauver le delta.