Les intérêts économiques l'ont emporté sur la conservation des espèces menacées lors de la conférence de la CITES à Doha, impuissante à imposer une régulation du commerce international sur des espèces marines emblématiques.

Peu avant la clôture jeudi, le Japon, qui ressort comme le grand vainqueur de cette réunion, a réussi à renverser la seule décision adoptée cette semaine pour une inscription du requin-taupe (Lamna nasus) à l'Annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces sauvages menacées d'extinction (CITES).

La CITES aurait alors pu contrôler les exportations de ce poisson, ciblé pour ses ailerons vendus à prix d'or sur les marchés d'Asie.

Le secrétariat de la CITES, mais aussi les États-Unis et l'Union européenne se sont tous déclarés «déçus» par cette issue.

Loin de tout triomphalisme, le chef de la délégation japonaise, Masanori Miyahara, a avoué «des sentiments mélangés. Je me sens de lourdes responsabilités pour l'avenir après les discussions d'aujourd'hui», a-t-il confié.

«Nous avons beaucoup de choses à faire ensemble», a-t-il poursuivi en évoquant une autre enceinte, la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (ICCAT), qui gère la pêche en Atlantique et Méditerranée et se réunira en novembre.

«Le Japon pense que la CITES ne devrait pas se mêler des espèces commerciales mais c'est un tort», a réagi le secrétaire général de la Convention, Willem Wijnstekers, également «déçu»: «La CITES sert trop souvent de service de réanimation. Bien souvent, quand les espèces arrivent à la CITES, c'est déjà trop tard.»

Pour le conseiller scientifique de la Convention David Morgan, «une des objections soulevées, notamment par les pays en développement, concernait les impacts socio-économiques: ils comptent bien sûr, mais à long terme, le principal souci économique sera le manque de poisson».

Trois autres espèces de requins -- requin-marteau halicorne (Sphyrna lemini), requin océanique (Carcharhinus longimanus) et aiguillat commun (Squalus acanthias) -- ont été retoqués à l'Annexe II, ainsi que les coraux rouges précieux et surtout le thon rouge d'Atlantique Est et de Méditerranée (Thynnus thunnus).

 «C'est un revers significatif. Même si (la conférence) a permis de braquer les feux sur l'état de certaines espèces marines», a jugé Jane Lyder, chef de la délégation américaine.

«Maintenant, la balle est dans le camp de l'ICCAT. Nous allons suivre ça de près en novembre», a prévenu le représentant de la Commission européenne, Julius Langendorf.

Le thon faisait figure d'hôte de marque à Doha, en raison des prix records qu'il atteint sur le marché japonais, premier consommateur mondial.

Tout au long des douze jours de travaux, le Japon a conduit un lobbying soutenu renforcé par la présence de nombreux représentants des pêcheries asiatiques.

«Les ministres des pêches sont venus en force et ce sont eux qui ont fait les décisions», a relevé Céline Sissler-Bienvenu du Fonds mondial de protection des animaux (IFAW).

«C'est un triste jour pour la conservation. La CITES était un traité qui réfrénait le commerce au nom de la conservation. Aujourd'hui, on restreint la conservation au profit du commerce», a regretté Sue Lieberman, du Pew Environment Group.

La CITES, entrée en vigueur en 1975, a déjà inscrit plus de 34.000 espèces sous sa protection dont elle interdit (Annexe I) ou régule (Annexe II) le commerce international. Tigres, éléphants, crocodiles ou esturgeons font partie de ses plus vieux abonnés, avec plus ou moins de bonheur.

À Doha, elle a ainsi maintenu la protection maximale sur les éléphants, s'opposant à la Tanzanie et à la Zambie qui réclamaient un assouplissement des règles pour leurs pachydermes. Parce qu'en dépit de la CITES, le braconnage des espèces convoitées reste florissant.