(New York) Côté drogues, Joe Biden n’a vraiment rien d’un Barack Obama.

Dans les années 1990, Obama avait avoué dans ses mémoires, Les rêves de mon père, avoir consommé, étant jeune, de « l’herbe » et « parfois une ligne de coke, quand on pouvait se la payer ».

Durant la même décennie, Biden pilotait au Sénat un projet de loi sur la criminalité qui visait notamment à alourdir les peines de prison pour les personnes condamnées pour possession de drogues.

Or, à la Maison-Blanche, le 46e président continue d’aller plus loin que le 44e pour changer les politiques de son pays vis-à-vis de la marijuana.

PHOTO MATT MCCLAIN, ARCHIVES THE WASHINGTON POST

Joe Biden, lors du discours sur l’état de l’Union

En mars dernier, par exemple, il est devenu, à 81 ans, le premier président à mentionner « l’herbe » lors d’un discours sur l’état de l’Union. « Personne ne devrait être emprisonné pour avoir consommé ou possédé de la marijuana », a-t-il dit.

La semaine dernière, son administration a franchi une autre étape historique, entamant un processus qui mènera la Drug Enforcement Administration (DEA) à reclasser la marijuana parmi les stupéfiants assujettis à la loi sur les substances contrôlées. Que signifie cette décision qualifiée de « sismique » par le site Politico ?

Depuis 1970, la marijuana est classée dans le tableau I de la loi sur les substances contrôlées, où se trouvent également l’héroïne, la métamphétamine et le LSD, des drogues qui n’ont pas d’utilité médicale répandue aux États-Unis et qui ont un fort potentiel d’abus. À la suite d’une recommandation du ministère de la Justice confirmée mardi dernier, le cannabis passera au tableau III avec certains médicaments à la codéine, les stéroïdes anabolisants et la kétamine, entre autres substances qui ont un potentiel de dépendance physique et psychologique de modéré à faible.

Ce changement aura des retombées scientifiques, économiques et politiques. Il favorisera la multiplication des recherches et essais cliniques pour déterminer les bienfaits médicaux du cannabis, prélude à la participation des sociétés pharmaceutiques à la vente et à la distribution de la marijuana médicale dans les 38 États américains où celle-ci est légale.

Le changement permettra en outre aux entreprises de cannabis récréatif dans les 24 États où celui-ci est légal d’accéder à des déductions fiscales et des services bancaires qui leur sont aujourd’hui interdits.

Et il contribuera à faire flotter sur la campagne présidentielle de 2024 une odeur d’« herbe ».

Arrêter de tourner autour du pot

« Je ne saurais trop insister sur le fait qu’ils doivent s’y atteler le plus rapidement possible », avait déclaré Kamala Harris en mars dernier, pressant le ministère de la Justice de lancer le processus de reclassification de la marijuana.

PHOTO JOHN RAOUX, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris

La vice-présidente n’avait pas mentionné l’échéance électorale de novembre, mais elle ne serait pas la seule démocrate à croire que cette reclassification pourrait, d’ici là, aider son patron à se rapprocher des jeunes, dont bon nombre le boudent.

Chose certaine, les Américains sont largement en avance sur Washington en ce qui concerne la marijuana. Pas moins de 70 % d’entre eux soutenaient la légalisation de cette drogue au niveau fédéral en novembre 2023, selon un sondage Gallup.

Mercredi dernier, au lendemain de la décision du ministère de la Justice, le chef de la majorité au Sénat américain, Chuck Schumer, a pris acte de cette réalité en déposant à nouveau un projet de loi destiné à légaliser la marijuana au niveau fédéral.

Le texte a peu de chances d’être adopté par les deux chambres du Congrès d’ici novembre. Mais il pourrait constituer un argument électoral pour les démocrates.

« La reclassification du cannabis est une étape nécessaire et attendue depuis longtemps, mais ce n’est pas du tout la fin de l’histoire », a déclaré le sénateur Schumer en déposant le projet de loi.

PHOTO VALERIE PLESCH, THE NEW YORK TIMES

Le leader de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, lors d’une conférence de presse à propos de la fin de la prohibition fédérale du cannabis, mercredi

Il est temps que le Congrès se réveille et fasse sa part en adoptant la réforme du cannabis que la plupart des Américains appellent de leurs vœux depuis longtemps. Il est grand temps que le Congrès rattrape l’opinion publique et la science.

Chuck Schumer, leader de la majorité démocrate au Sénat

Mais la question de la marijuana peut-elle vraiment aider Joe Biden ? Selon des analystes, elle a déjà joué un rôle dans sa victoire de 2020 contre Donald Trump en Arizona, où un référendum sur la légalisation de cette drogue a dopé la participation des jeunes.

Un enjeu de campagne ?

En 2024, la marijuana fera l’objet d’un des deux référendums qui seront tenus en Floride, l’autre devant porter sur l’avortement. Donald Trump aura à prendre une décision en tant qu’électeur de l’État. Reste à voir s’il s’en ouvrira.

En attendant, un rappel : à la Maison-Blanche, le 45e président a lui-même créé un précédent en 2018 en légalisant le chanvre et le cannabidiol (CBD) qui en est issu, à condition que la plante ne contienne pas plus de 0,3 % de tétrahydrocannabinol (THC).

Il a aussi orchestré un recul la même année en permettant à Jeff Sessions, son premier procureur général, d’annuler une politique de Barack Obama visant à suspendre l’application de la loi sur les substances contrôlées dans les États où la marijuana est légale.

Cela dit, Kamala Harris est peut-être celle qui incarne le mieux l’ambivalence, l’hypocrisie ou l’évolution de nombre d’Américains face à la marijuana.

« Et j’ai inhalé ! », a-t-elle blagué lors d’une interview radiophonique en 2019, admettant avoir bel et bien fumé de la marijuana au collège, contrairement à un certain Bill Clinton, qui avait déclaré en 1992 avoir fumé de la marijuana sur le campus d’Oxford « sans inhaler ».

La blague n’avait pas fait rire tout le monde. Après tout, en tant que procureure de San Francisco, Kamala Harris a supervisé quantité de condamnations liées à la marijuana.

En 2019, elle s’est prononcée en faveur de la légalisation de la marijuana au niveau fédéral. Si Joe Biden lui emboîte le pas, il aura de nouveau dépassé Barack Obama sur cette question.