Entre la sortie du livre de Catherine Dorion et l’élection imminente d’une nouvelle porte-parole à Québec solidaire, on devrait parler davantage, à mon avis, de Manon Massé et de ce qu’elle nous enseigne de la politique non pas « au féminin », mais féministe.

Si aujourd’hui je prends la plume, c’est que, bien que je n’y travaille et n’y milite plus, ce qui se passe à et autour de QS ces temps-ci touche ma conviction la plus intime : il faut plus de femmes féministes en politique. Pour y arriver, il faut commencer par apprécier à sa juste valeur le travail de celles qui tracent déjà le chemin.

Les salles d’accouchement sont encore aujourd’hui aménagées pour accommoder le confort des médecins avant l’aisance de celles qui accouchent. Bien sûr alors que le Parlement et la politique en général portent profondément la marque des années où les femmes n’y étaient pas admises. Rien de cet écosystème et de ses codes n’a été réfléchi pour nous ni évidemment par nous.

Pour les femmes et les personnes marginalisées en politique, travailleuses de l’ombre comme élues, la route continue d’être rude et les écueils, nombreux. C’est pourquoi il faut l’adoucir de toutes nos forces. Il faut que de plus en plus de femmes l’empruntent pour que la piste ne s’efface pas, pour que les suivantes la trouvent.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Manon Massé pendant la campagne électorale de 2018. À sa gauche, son attachée de presse de l’époque, Élise Tanguay.

J’ai eu le privilège, en 2018, d’évoluer auprès de Manon durant les longues semaines d’une campagne électorale de « cheffe » de parti. J’ai eu l’honneur d’être celle qui la suivrait partout pour ce qui allait être un des moments les plus intenses de ma vie et probablement de la sienne aussi. J’ai pu mesurer la chance d’être à ses côtés pour contribuer à ce qu’elle donne le meilleur d’elle-même en lui glissant quelques encouragements et en posant une main dans son dos. C’est comme ça que j’ai appréhendé mon rôle d’attachée de presse.

Pendant toutes ces années à la côtoyer et particulièrement lors de cette incroyable aventure électorale, ce sont la force et la sagesse de Manon qui m’ont marquée. Elle s’est prêtée au jeu avec courage, en s’adaptant sans toutefois se transformer, dans les grands débats et malgré le décorum austère. En addition aux efforts militants de la machine de QS, c’est la performance de Manon qui a fait de cette campagne le succès qu’on lui a connu. Et cette performance, justement, elle n’avait rien des one man shows de la politique traditionnelle. Manon s’est nourrie du travail de son équipe, elle a fait confiance et elle n’a en aucun cas accaparé tout le mérite.

Si elle est devenue pour beaucoup de monde, des jeunes surtout, une sorte d’icône, c’est parce que son humilité sous les projecteurs, on la ressent vraiment. Ça ne se fake pas, cette vertu-là. Dans cet univers qui n’avait rien pour lui faciliter la vie, Manon a été une étoile généreuse autour de laquelle les solidaires ont pu tourner, profitant tantôt de sa lumière, tantôt de sa chaleur, et toujours de sa force pour maintenir tout ce système en orbite.

Assurément, maintenir cet équilibre et demeurer fidèle à elle-même a dû représenter un effort colossal et être très éprouvant pour elle. J’ai appris à le déceler dans ses yeux quand elle est au bout du rouleau, même au détour d’un simple clip au téléjournal. Inévitablement, son parcours a été parsemé d’embûches, d’erreurs, de faux pas, mais même – et peut-être surtout – dans ces moments, Manon s’est toujours démarquée par son immense résilience et sa dignité tranquille.

Dans un monde où on attend de nos leaders qu’ils tranchent, négocient, s’ingèrent ou s’imposent, exigent et ordonnent, Manon a dirigé autrement, au-delà du cliché. Elle a consulté, écouté, guidé, fait confiance, concilié, réconcilié, assumé et rallié.

Elle a exercé un leadership rassembleur à sa manière, sans se trahir, n’en déplaise aux partisans du statu quo. Elle l’a fait au bénéfice de ce projet de société auquel elle croit et pour soutenir les gens avec qui elle œuvre à le concrétiser.

Le vécu des femmes et des personnes marginalisées en politique en a long à nous apprendre et on doit l’entendre pour avancer. C’est pour ça qu’on ne peut pas se permettre de passer sous silence le legs de Manon Massé. Alors même qu’il ne reste que quelques jours à son mandat de porte-parole, la meilleure chose qu’on puisse faire, c’est de s’inspirer de ce qu’elle a été et qu’elle demeure comme leader féministe.

Il y a un tas de choses qu’elle m’a apprises par contagion à force de la suivre. La plus fondamentale à mes yeux est peut-être celle-ci. Devant l’adversité, s’il y a un camp à choisir, c’est toujours celui du féminisme, en politique comme dans la vie. Cette posture-là n’est jamais celle qui nous vient en premier comme réflexe. Trouver et tenir cette position demande temps et effort. Il faut sonder nos idées préconçues et remettre en question notre jugement altéré par le monde autour de nous. Il faut s’affranchir pour se faire une tête. Et chaque fois qu’on y arrive, tout d’un coup, tout tombe tellement sous le sens.

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