J’ai été récemment invité comme conférencier auprès d’enseignants d’une école secondaire de Repentigny. Me voilà donc dans l’atrium, en cette journée pédagogique, devant quelque 150 professionnels de l’éducation, légèrement saisi de la crainte d’ennuyer mon auditoire.

Le mot d’ouverture du directeur m’a vite sorti de mes préoccupations. Avant de me présenter, il informe les enseignants que la veille, deux élèves de l’école ont été violemment agressés par d’autres élèves. Il révèle alors peu de détails, mais il s’agit d’une situation assez grave pour être dévoilée dans les médias. J’y apprendrai que les élèves en question ont été poignardés. L’évènement est survenu un 14 septembre. Le cadeau de la rentrée, des coups de couteau.

Et si ce n’était qu’un cas isolé… Une enseignante de 65 ans d’une école secondaire de Laval a été agressée en pleine classe par une élève de 13 ans.

Plusieurs parmi vous ont vu circuler la vidéo de ces adolescents de Saint-Bruno qui ont mis à genoux un autre élève et lui ont assené des coups de poing. Et une centaine d’élèves ont été impliqués dans une altercation monstre à Brossard. Tout ça, la semaine dernière seulement.

Ces évènements sont en phase avec l’augmentation des agressions dans les écoles primaires et secondaires du Québec. Le Journal de Montréal rapporte d’ailleurs que, dans les écoles de Montréal, on note presque deux fois plus de gestes violents qu’il y a dix ans. Quant à l’intimidation dans les écoles, elle est aussi en hausse depuis la pandémie, et ce, malgré les plans de sensibilisation dans les écoles.

À ce mélange s’ajoute une plus grande circulation des armes parmi les adolescents, et les conséquences qui s’ensuivent. Selon ce qu’a rapporté Louise Leduc dans La Presse en septembre, les agressions armées ont été à la hausse dans les établissements scolaires de Montréal et de Laval en 2022.

Face à ces histoires effarantes, accompagnées de statistiques qui confirment de graves tendances, on se serait attendu à ce que la classe politique se manifeste avec vigueur afin de lutter contre toutes les formes de violence dans les écoles. C’est surtout le silence qui s’est fait entendre. Pourquoi ?

Je n’ai pas de réponse définitive, mais voici une observation : dans les derniers mois, j’ai collaboré au documentaire Ados et armés, qui explore la problématique de la violence armée chez les adolescents. L’équipe de production et moi avons constaté que, devant cette problématique, le gouvernement provincial mettait surtout de l’avant la sécurité publique, alors que dans les faits, la violence armée est un enjeu intersectoriel relevant aussi de la santé publique et de l’éducation, notamment.

Ce constat est d’autant plus vrai pour les violences qui n’impliquent pas d’armes.

Avant d’être l’affaire des forces de l’ordre, la lutte contre les comportements violents relève de l’empathie des jeunes, de la régulation des émotions, de la gestion constructive des conflits et du développement de l’estime de soi par des activités positives.

L’école ne porte pas seule le fardeau de développer ces aptitudes émotionnelles et relationnelles, mais elle a une part importante de cette responsabilité. À ce titre, Bernard Drainville, ministre de l’Éducation, doit être au rendez-vous.

Une tâche qui n’est pas mince dans un monde en mutation. Quels ont été les effets de la pandémie sur l’attitude de jeunes qui ont perdu des années de socialisation ? Le numérique diminue-t-il les comportements prosociaux des ados ? Et la polarisation chez les adultes influence-t-elle leurs enfants ? Voilà des questions qui méritent d’être examinées puisqu’elles peuvent avoir un lien avec l’agressivité.

À défaut de s’y intéresser, on risque de reléguer aux forces policières la responsabilité de nos jeunes. Je lisais dans Le Journal de Montréal les propos de Jean-Marc Schanzenbach, commandant responsable du dossier jeunesse au Service de police de la Ville de Montréal, au sujet de l’importance de dénoncer les actes violents commis par les jeunes : « [s]i on veut vraiment être bienveillant, on va rentrer ce jeune-là dans le système de justice, qui prévoit une gradation des conséquences. Quand on évite de l’inclure dans le système, on peut parfois lui nuire plus que d’autre chose »⁠1.

Est-ce vraiment notre projet de société, que d’attendre que les jeunes soient dans l’engrenage du système de justice ? Qu’est-ce que nous pouvons faire en amont ? Combien de jeunes encore devront être intimidés, battus, hospitalisés ou même tués avant que ce problème aux multiples facettes devienne une affaire d’État ?

Si le ministre Drainville veut s’illustrer par une vision rassembleuse, peu importe le parti, peu importe l’orientation idéologique, en voici une : des écoles sans violence.

1. Lisez « Deux fois plus d’agressions à Montréal depuis 10 ans : la violence explose dans les écoles » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue