Un an après la mort de la jeune Mahsa Amini, la société iranienne, toujours en colère, est en pleine transition sociale et culturelle. Depuis septembre 2022, le monde entier est témoin de la transformation du slogan « Femme, vie, liberté » en un véritable mouvement de contestation, que certains ont d’ailleurs qualifié de « révolution ».

Un nom devenu symbole

Morte le 16 septembre 2022 à la suite de son arrestation par la « police des mœurs » pour « port inapproprié du voile islamique », Mahsa Amini est devenue un des symboles forts de la lutte contre l’oppression des femmes iraniennes et contre la répression étatique. Le nom de Mahsa Amini est ainsi entré dans l’histoire contemporaine d’un pays patriarcal dont le gouvernement a souvent tenté de rendre invisibles le combat et la résistance des femmes, en réduisant leur statut social, politique et juridique.

Sa mort sera probablement commémorée chaque année afin de ne pas oublier la violence physique envers les femmes et les féminicides.

Un slogan devenu mouvement

À la suite de cet évènement, le slogan « Femme, vie, liberté », scandé de l’Iran, a retenti partout dans le monde et pris la forme d’un mouvement de défense des droits (les plus fondamentaux) des femmes, de la vie et de la dignité humaine.

Les valeurs défendues par ce mouvement de contestation mettent au-devant de la scène sociale et politique un terme bien fragilisé, « liberté », en nous rappelant avec force et détermination les paroles de Chateaubriand : « […] sans la liberté, il n’y a rien dans le monde ». Comme le précise Simone Weil, la liberté est une « nourriture indispensable à l’âme humaine » et « consiste essentiellement dans une possibilité de choix ».

Les femmes iraniennes portent, depuis plus de 40 ans, une tenue imposée par la République islamique. Une partie d’entre elles considèrent l’obligation du port du voile et l’ensemble du code vestimentaire islamique comme une atteinte directe au droit de disposer de leur corps. Dans ce contexte, le voile n’est pas considéré comme un simple bout de tissu neutre et inoffensif, mais plutôt comme une source d’oppression, voire une prison mobile.

Depuis plus d’un an, la position des Iraniennes s’est durcie et nombre d’entre elles refusent de se plier à ce diktat vestimentaire au nom du respect de la religion et des valeurs islamiques. Elles souhaitent être libres de choisir de porter le voile et, enfin, désacraliser le corps féminin.

Bien que cette lutte s’inscrive dans un contexte sociopolitique et juridique propre à la République islamique d’Iran, elle se rallie aux valeurs de justice, d’équité, de laïcité et de liberté, et en appelle à une vision républicaine de la séparation de la religion et du politique.

Un État devenu mafieux

Depuis 1979, l’instauration de la terreur et l’institutionnalisation de la peur sont un mode de gouvernance. Structure étatique hautement hiérarchisée, l’État iranien fonctionne comme un système mafieux omniprésent et omnipotent. Il mène en toute impunité des activités criminelles – empoisonnements, torture, viols, extorsions, corruption, intimidation, menaces – et investit dans la « création de l’insécurité » afin de maintenir son contrôle constant qui exige l’obéissance du peuple.

Les récentes contestations populaires n’ont pas fait reculer le gouvernement iranien. Face à la désobéissance civile, pourtant soutenue, il a plutôt durci ses positions en systématisant la répression étatique, notamment en consolidant ses mesures coercitives et en développant ses dispositifs de surveillance.

Une résistance devenue créative

Ce mouvement de contestation a vu l’émergence d’une résistance créative et ingénieuse qui se traduit non seulement par une narration visuelle et graphique, mais aussi à travers une musique engagée. La jeunesse s’est distinguée par une pensée libre et réfléchie alors qu’elle est née dans le carcan d’une pensée unique et absolue.

Le slogan « Femmes, vie, liberté » a d’ailleurs été tiré de la chanson Baraye du jeune chanteur pop iranien Shervin Hajipour. Considéré comme l’hymne de la contestation iranienne, ce titre a été élu meilleure chanson pour le changement social lors de la 65cérémonie des Grammy.

Le rap iranien souligne également les maux de la société iranienne et dénonce la répression sanglante. À travers ses textes, Toomaj Salehi, rappeur engagé, en prison depuis septembre 2022, encourage le peuple à ne pas rester silencieux face aux nombreuses injustices.

La communauté étudiante de l’Université d’art de Téhéran a quant à elle porté une campagne invitant à inscrire le terme « non » sur les photos des dignitaires religieux iraniens et des représentants de l’État. Elle a ainsi pu exprimer son rejet franc et direct de l’obscurantisme religieux et du gouvernement iranien.

Une révolution sociale et culturelle est donc bien en marche dans une société iranienne en pleine transition pour ce qui est de ses valeurs, de son identité, de ses croyances et de ses références culturelles. Cette lutte, attisée par la mort de la jeune Mahsa Amini, s’inscrit dans une vision d’une société juste et plurielle où chacun doit jouir de la « liberté d’être libre », comme l’écrivait Hannah Arendt.

* L’auteure est également chercheuse associée à l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.

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