Les mesures pour restreindre la présence des voitures ne cessent de se multiplier à Montréal. Le règlement adopté par l’arrondissement d’Outremont afin de tarifer les stationnements suscite une énorme grogne chez les citoyens. Idem pour le retrait de 275 places de stationnement à Verdun.

Depuis l’arrivée de Projet Montréal à la mairie, on a l’impression que toutes les occasions sont bonnes pour gruger de l’espace aux voitures. Ajouts de bandes et pistes cyclables, de saillies de trottoir et de sens uniques, création de placottoirs, transformation de rues en zones piétonnières, prolifération de terrasses, restrictions de stationnement… Bref, on ne manque pas d’imagination pour dire aux automobilistes qu’ils ne sont plus les bienvenus dans la métropole.

À la base, on souhaite tous une réduction des GES, on veut tous vivre dans un environnement sain, on veut tous que nos petits-enfants puissent un jour faire leurs courses sans masque à gaz. Mais j’avoue que j’observe l’entrée en vigueur de ces mesures en me demandant si on fait les choses correctement.

Pour le moment, ce que j’entends, c’est de la frustration. C’est : « Basta ! Je déménage ! » C’est : « Si on pense me convaincre de prendre les transports en commun, c’est raté ! » C’est : « On est complètement déconnecté de la réalité ! » Je tiens à dire ici que celui qui rapporte ces commentaires est un adepte des transports en commun. Donc, de grâce, gardez vos tomates pour une bonne salade !

Le quotidien Le Monde a récemment publié un excellent dossier sur les mesures adoptées par cinq villes afin de bannir les voitures. Qu’est-ce qu’on retient ? Que chaque ville a sa réalité et qu’elle doit choisir des règles en fonction de son contexte et de ses défis. On retient aussi que, même si les villes européennes ont une longueur d’avance sur nous, la bataille est loin d’être gagnée pour elles.

Les villes observées (Oslo, Barcelone, Londres, Ljubljana, Bruxelles) ont en commun d’avoir mis en place des mesures qui éliminent la place de la voiture en créant des centres ou des zones sans voiture. Les « superilles » de Barcelone, ces îlots où seuls les véhicules autorisés ont accès, font rêver tous les écologistes.

On se rend compte également que les idées mises de l’avant par ces villes ne portent pas nécessairement leurs fruits. À Londres, par exemple, l’imposition d’un péage urbain les jours de semaine, entre 7 h et 18 h, a fait réduire considérablement la présence de la voiture au centre-ville. Mais en dehors de cette zone, la capitale britannique continue de souffrir de sérieux embouteillages. Bref, le problème de la pollution est loin d’être réglé.

Jérôme Laviolette est chercheur à la Chaire Mobilité de Polytechnique Montréal. Ce doctorant et boursier de la Fondation David Suzuki s’intéresse au phénomène de la voiture dans les villes. Selon lui, il ne faut pas se laisser décourager par ces résultats. La recherche empirique qu’il a consultée montre que lorsqu’on remplace l’usage de la voiture par autre chose, des zones piétonnières, par exemple, cela a un effet direct et positif sur notre comportement.

« On se rend compte que 50 % des déplacements sont redistribués, mais que le reste s’évapore, dit-il. Finalement, la population s’adapte assez rapidement à ces nouvelles contraintes. »

Jérôme Laviolette fait partie de ceux qui croient qu’en dehors des changements structurels, il faut travailler sur la relation que nous avons avec la voiture.

Disons que lorsqu’on aperçoit sur l’autoroute 40 un VUS attaché à un méga véhicule récréatif, on se dit qu’on a un méchant défi de ce côté-ci de l’Atlantique.

Le maire de Londres a récemment annoncé que son objectif, d’ici à 2041, était que 80 % des déplacements au sein du Grand Londres soient faits à pied, à vélo ou en transport collectif. Voilà un souhait qui me semble réalisable pour une ville comme Londres.

Mais Montréal, pour parler de nous, n’est pas Londres. Notre système de transports collectifs a encore des croûtes à manger. Et Londres n’a pas notre climat. Comment convaincre les citoyens d’abandonner la voiture entre novembre et mars alors qu’il fait - 25 ? Comment convaincre des personnes âgées de se lancer sur les trottoirs glacés de la ville pour se rendre à la station de métro qui se trouve à quatre pâtés de maisons de chez elles ?

Jérôme Laviolette ne croit pas qu’on doive se laisser arrêter par cela. Selon lui, le travail sur le changement de mentalité doit se faire quand même. « Ça peut paraître niaiseux, mais si tu es pris dans tes habitudes et que tu utilises depuis très longtemps ta voiture, tu ne sais peut-être pas qu’il y a un transport express qui peut t’amener à ton travail. » Bref, il faut mettre la grogne de côté et accepter de casser ses vieilles habitudes.

Je partage entièrement l’opinion de Jérôme Laviolette. Mais pour toutes sortes de raisons, je continue de croire qu’à Montréal, nous sommes en face d’une absence de stratégie. On nous pousse à quitter la voiture alors que les moyens de substitution ne sont pas tous là (l’enrichissement de notre système de transports en commun est encore à venir). On met en place toutes sortes de concepts sans nous dire réellement à quoi ils servent.

Si on veut que Montréal soit cité en exemple comme le sont Oslo ou Ljubljana, il faut faire preuve de franchise et de clarté. Si on veut se débarrasser de la voiture, si on veut convaincre les Montréalais de changer leurs habitudes, il faut le dire.

Je crois qu’on est mûrs collectivement pour une séance de Vérité/Conséquence.

Quelle est la stratégie d’ensemble de tout cela ? Qu’on arrête de fonctionner selon la volonté et la personnalité des 19 maires d’arrondissement. Cela donne un festival du mécontentement et des réunions de conseil où l’on déchire sa chemise, comme cela est arrivé récemment à Outremont.

Où s’en va-t-on ? Quels sont les objectifs à atteindre ? En retour, qu’on nous offre une solution de rechange solide et intéressante. Les citoyens ont besoin de savoir cela. Pour le moment, ils tournent en rond et ragent dans l’espoir de trouver une place de stationnement.