Cet article ne s'adresse pas à ceux qui adorent Frédéric Beigbeder ou son best-seller 99 F, ni aux fans de Jean Dujardin, ni à ceux se repassent en boucle les films de Jan Kounen. Eux, il y a de bonnes chances qu'ils aillent voir le film. Non. Cet article est pour tous les autres.

Ceux qui ont détesté 99 F à la lecture, qui ont failli l'envoyer valdinguer dans une poubelle juste après. Ceux qui zappent dès qu'ils voient Frédéric Beigbeder à la télé. Ceux qui n'ont rien compris à Blueberry et trouvent scandaleux qu'on dépense des millions d'euros pour faire un faux western dopé aux psychotropes sans queue ni tête. Ceux qui trouvent que Un gars, un fille c'était déjà trop d'honneur pour Jean Dujardin. Cet article s'adresse à vous. Oui, vous qui refusez ces produits d'appel culturels survendus que sont Beigbeder, Dujardin et Kounen réunis.

Mais une fois n'est pas coutume: il faut laisser votre vigilance de consommateur averti de côté, oublier vos préjugés et aller voir 99 F (le film sort vendredi dans les salles au Québec), adaptation cinématographique du livre de Beigbeder, par Kounen, avec Dujardin. Car pour la première fois depuis longtemps, un réalisateur français fait exploser le carcan étriqué de la mise en scène à la française et propose du nouveau: un film spectaculaire, visuel et ludique, au rythme ultra-rapide, comme celui de la pub.

Avalanche d'images, montage très serré, dialogues chocs: bienvenue dans l'univers glacé de la pub vu par un cinéma digne d'un XXIe siècle méchant, très méchant, et consommateur, ô combien consommateur...

Octave (Jean Dujardin) est le maître du monde. Jamais crétin irresponsable n'a été aussi puissant que lui depuis 2000 ans. Octave est rédacteur publicitaire. Dans le jargon du métier c'est un «créa», comprenez créatif. Bref un artiste quoi, sauf qu'il vend des pots de yogourt ou des couches pour vieux incontinents, pardon, «seniors». C'est lui qui décide aujourd'hui ce que vous allez vouloir demain. Et pour lui, «l'homme est un produit comme les autres». Octave travaille pour la plus grosse agence de pub du monde: Ross & Witchcraft, surnommée «La Ross». Il est couvert d'argent, de filles et de cocaïne. Il roule en décapotable, gagne 10 000 euros par mois. Les 34 premières années de sa vie ont été sublimes mais là, il doute.

Et deux événements vont sérieusement perturber sa vie: son histoire d'amour avec Sophie (Vahina Giocante), la plus belle employée de l'agence, et une réunion de travail chez le géant du produit laitier, Madone. Alors Octave déjante. Le nez plein de coke, le monstre décide de se rebeller contre le système qui l'a créé, en sabotant sa plus grande campagne publicitaire, celle de Madone...

«Tout d'un coup avec 99 F, on m'offrait l'opportunité de revenir dans ma tribu, d'appuyer là où ça fait mal», se réjouit Jan Kounen, ex-réalisateur de publicités. L'auteur de Dobermann signe cette fois un film maîtrisé, une première après le gouffre chamanique imbibé de peyotl qu'était Blueberry...

Grâce à Dujardin, Octave, sorte de Valmont sous coke, devient sympathique. Mais il lui manque cette élégance physique affectée, ce snobisme intellectuel de Saint-Germain-des-Prés, inhérents au personnage. D'où un petit regret quant au casting de départ, Édouard Baer... Pour le reste, Jocelyn Quivrin est excellent en Charlie, le bon pote fumeur de joints, tout comme Patrick Mille en commercial lèche-bottes et Nicolas Marié en puissant directeur marketing.

Ce pamphlet anti-pub était un projet risqué pour les producteurs. Seuls Pathé, Arte et Canal+ ont accepté de s'y risquer. Du coup le film respire l'insolence et la liberté de création, avec de belles références à la pub et au cinéma, évidemment. Seul paradoxe, la sortie du film exige une campagne de pub... Ce qui fait qu'on ne peut plus faire un pas sans voir Jean Dujardin partout.

Alors à vous de voir. Heureusement, c'est encore vous qui décidez aujourd'hui, ce que vous allez voir demain... Vous pouvez céder et aller voir 99 F ou résister et choisir un film indépendant avec un petit budget de pub. Ou alors rester chez vous et ne rien faire. À part peut-être zapper cet article. Qui, après tout, à force d'être positif, est aussi un peu une publicité pour le film.