Quand il a vu le film danois Brothers, réalisé par Susanne Bier, le cinéaste Jim Sheridan a su qu'il explorerait un jour la même histoire. Tobey Maguire, Jake Gyllenhaal et Natalie Portman sont aujourd'hui les têtes d'affiche d'un film au coeur duquel figure un drame humain saisissant.

La transformation est saisissante. Au début de Brothers, le personnage de soldat qu'interprète Tobey Maguire est sain de corps et d'esprit, responsable, aimant, en équilibre entre une vie familiale épanouie et le sens du devoir. À la fin, le même homme n'est plus qu'un fantôme au visage émacié, vidé de son âme, en rupture avec sa propre humanité.

«Le tournant de son histoire est un événement saisissant, très perturbant, expliquait Jim Sheridan au cours d'une entrevue accordée à La Presse cette semaine à Toronto. Quand j'ai vu le film original de Susanne Bier, cette scène m'a particulièrement troublé. J'ai eu envie d'accepter d'en faire une adaptation à cause de cette séquence-là.»

Au dire même du réalisateur, Brothers n'est pas un film «de guerre», pas plus qu'un remake hollywoodien. Plutôt un drame familial dont l'approche évoque davantage le cinéma indépendant. Sheridan n'est quand même pas dupe au point de penser que le cadre dans lequel se déroule l'histoire de son nouveau film attirera d'emblée les foules dans les complexes multisalles du continent.

«Quand on conçoit un projet comme celui-là, il est difficile d'oublier les échecs publics de la plupart des films touchant de près ou de loin les guerres d'Irak ou d'Afghanistan, admet-il. C'est pourquoi j'ai eu d'autant plus envie d'aborder cette histoire sous un angle intime. Oui, ce soldat a subi un traumatisme alors qu'il était en service en Afghanistan. Mais le même traumatisme aurait tout aussi bien pu survenir dans un contexte civil. C'est le retour inattendu de cet homme chez lui qui m'intéresse. Et les bouleversements que tout cela entraîne.»

Dans Brothers, Tobey Maguire et Jake Gyllenhaal incarnent Sam et Tommy, deux frères on ne peut plus différents de nature. L'aîné (Maguire) constitue la fierté de son père (Sam Shepard), militaire aussi, tandis que le cadet (Gyllenhaal) est un rebelle charmeur qui se retrouve souvent dans le pétrin. Sam a marié Grace (Natalie Portman), son amour de jeunesse, et met au premier plan sa vie de famille avec ses deux fillettes; Tommy est sans attaches.

En Afghanistan, Sam est présumé mort. Une nouvelle mouvance s'installe alors au sein de sa famille. Tommy se sent même investi d'une nouvelle responsabilité auprès de ses petites nièces. Grace n'est pas insensible à la chose. Jusqu'au jour où...

«Il est très difficile d'aborder des thèmes de nature militaire à une époque où de vraies guerres ont encore lieu, précise le réalisateur. Tout devient alors propagande, soit pour, soit contre. J'ai tout fait pour éviter cela. Là n'était pas mon propos. Il m'importait surtout d'explorer la relation entre ces deux frères.»

Un grand frère

Reconnu pour tirer le meilleur des acteurs qu'il dirige, Jim Sheridan a fait sa marque avec des films comme My Left Foot, In the Name of The Father, The Boxer et In America. Les comédiens qui ont eu la chance de travailler sous sa direction louent souvent l'engagement émotif du réalisateur irlandais.

«Je n'ai pas besoin de parler aux acteurs vraiment, explique celui qui a d'abord beaucoup travaillé au théâtre. Peut-être ont-ils ce sentiment parce que je ne frime pas avec eux. Très jeune, je me suis senti protecteur d'un petit frère malade, que nous n'avons malheureusement pas pu réchapper. Or, j'ai parfois l'impression de retrouver en moi cette attitude de grand frère quand j'arrive sur un plateau. Je veux que les acteurs accèdent à leur humanité. J'essaie de créer un climat leur permettant d'aller au bout de ce qu'ils souhaitent faire. Et faire en sorte qu'ils puissent se révéler à eux-mêmes.»

Pour Brothers, Sheridan a fait appel à des pointures. Tobey Maguire a hérité du rôle le plus exigeant, tant sur le plan physique que moral.

«Bien entendu, quand on s'assoit avec Tobey une première fois pour lui parler du rôle et du film, on se doit de le prévenir, soutient le cinéaste. Il faudra perdre du poids. Surtout, il faudra aller visiter des zones plus sombres, des zones où l'on ne souhaite pas nécessairement aller. Pour un acteur, c'est un défi. Ils sont toujours partants pour ce genre de proposition. Cela peut sembler étonnant, mais en fait, ils ne demandent pas mieux que de mesurer jusqu'où ils peuvent aller. Une façon d'aller au bout d'eux-mêmes tout en disposant d'un filet de protection. Car la vie qu'ils jouent n'est pas la leur.»

Vingt ans

Après 20 ans derrière la caméra, Jim Sheridan estime avoir trouvé la forme d'expression qui lui sied le mieux.

«Quand j'ai commencé à faire des films après avoir travaillé au théâtre pendant des années, je me suis dit que j'aurais dû me tourner vers le cinéma bien avant! J'aime le caractère intime du cinéma, cette façon de pouvoir capter les moindres subtilités dans le regard de quelqu'un, de faire écho à la part indicible de l'émotion. On ne peut pas faire cela au théâtre!»

Prochaine étape: sortir d'une certaine zone de confort.

«J'ai envie d'élargir ma palette un peu, ajoute Jim Sheridan. Le film que je tournerai à Toronto en février procède de cette volonté. Dream House sera un thriller ayant une dimension un peu plus fantastique. Daniel Craig en sera la vedette. Je crains un peu les rigueurs de l'hiver canadien cela dit!»

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Brothers (Frères en version française) prend l'affiche le 4 décembre. Les frais de transport ont été payés par Alliance Vivafilm.