Après avoir raconté l’histoire de cinémas qui n’existent plus, notre journaliste témoigne de l’éclosion de salles de répertoire à travers le Cinéma Public qui s’est trouvé un toit, mais qui espère se poser dans une plus grande maison.

Avec les Netflix, Disney+ et autres plateformes, les cinémas ont la vie dure. On assiste toutefois, depuis quelques années à Montréal, à l’éclosion de petites salles de quartier aux programmations sur mesure. Il y a le Cinéma Moderne, le Cinéma du Musée, Station Vu et le Cinéma Public.

Nous sommes loin de l’époque des cinémas de type « palace » où la salle était un spectacle en soi⁠1. On ne fréquente pas le Cinéma du Parc, par exemple, pour ses installations somptueuses. On y va par habitude, par affection, pour sa programmation.

Le Cinéma Public se décrit par ailleurs avant tout comme « un espace de rencontres » et « un projet de salle », fondé en 2021 par Aude Renaud-Lorrain et Roxanne Sayegh. Depuis, cette dernière est devenue la nouvelle directrice générale des cinémas Beaubien, du Musée et du Parc. « On se cherchait une salle relativement petite, raconte Aude Renaud-Lorrain. C’est la mairesse d’arrondissement de l’époque, Giuliana Fumagalli, qui nous a mis en contact avec la Casa d’Italia. »

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La salle du Cinéma Public

Le Cinéma Public est installé dans la Casa d’Italia, à deux pas de la station de métro Jean-Talon, en attendant de se trouver un point d’ancrage. « Notre rêve est de trouver un lieu permanent avec un petit café-bar. »

« Les cinémas de quartier permettent une proximité, avec une programmation qui prend le pouls de la population locale », poursuit Aude Renaud-Lorrain.

En matière de programmation, le Cinéma Public présente des séries, « des perles rares » de l’étranger, des courts métrages jeunesse, des documentaires... Le mandat est davantage communautaire que « mercantile », souligne Aude Renaud-Lorrain.

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Aude Renaud-Lorrain, directrice du Cinéma Public

D’avoir un cinéma à échelle humaine nous donne une liberté de programmation.

Aude-Renaud-Lorrain, directrice du Cinéma Public

Le Cinéma Public s’est donné un mandat d’accessibilité dans sa programmation, mais aussi dans le coût de ses billets qui est seulement de 8 $ à 10 $. « Il faut bâtir son public et nous avons eu une belle réponse de la communauté de Villeray, mais c’est certain que la grandeur de la salle est limitante. »

Un mandat éducatif

Aude Renaud-Lorrain milite pour que les cinémas qui n’ont pas un mandat commercial et qui ne sont pas privés puissent avoir droit à des subventions au même titre que d’autres lieux culturels de diffusion comme les musées ou les théâtres. Elle n’est pas étonnée qu’une salle patrimoniale comme l’Impérial (un organisme sans but lucratif) soit menacée de fermeture. « Historiquement, l’exploitation cinématographique est considérée comme un modèle qui génère beaucoup de profits, expose-t-elle. Notre modèle est plutôt d’offrir une programmation diversifiée et d’être près de la population. »

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Le Cinéma Public a un seul écran, mais présente plusieurs films différents chaque semaine. Il y a aussi une programmation en ligne.

Selon Aude Renaud-Lorrain, il faut revoir le financement public des cinémas qui encouragent « l’éducation à l’image ». « Il y a beaucoup d’aide à la production, mais il faut que les œuvres puissent être projetées et vues. Beaucoup de films sortent mais ne restent pas en salle longtemps. Ils doivent trouver leur public, fait-elle valoir. Il faut aussi sensibiliser les plus jeunes à l’art cinématographique. [...] Nous sommes pris dans un carcan de lois qui doit évoluer. »

Aude Renaud-Lorrain, qui a beaucoup fréquenté l’Ex-Centris à l’époque et qui a rêvé que l’Empress redevienne un cinéma, souhaite que chaque quartier ait son cinéma. Elle aime l’idée d’aller vers les gens – plutôt que l’inverse – avec une programmation diversifiée.

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Construite en 1936, avec l’aide du régime de Mussolini, la Casa d’Italia a été rénovée il y a une douzaine d’années.

La semaine suivant notre visite au Cinéma Public, on y présentait par exemple le film français acclamé Anatomie d’une chute, la comédie romantique finlandaise Les feuilles mortes et le documentaire québécois Ma cité évincée. Dans le cadre de la série « Vues de quartier » était aussi à l’affiche Les rayons gamma, une comédie dramatique tournée avec des jeunes du quartier Saint-Michel. Pas mal pour un « cinéma mono-écran » !

La Casa d’Italia

La Casa d’Italia est riche en histoire. Durant la Seconde Guerre mondiale, le premier centre communautaire italien à Montréal a été saisi par les autorités canadiennes (car on le soupçonnait d’allégeances fascistes) pour être restitué à sa communauté en 1947 sous la mairie de Camillien Houde. Ont foulé son escalier les Sergio Leone, Maurice Richard et René Lévesque.

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Giovanna Giordano, directrice de la Casa d’Italia

« Quand on arrive sur Jean-Talon, la bâtisse de la Casa d’Italia est comme un grand paquebot qui part », souligne sa directrice Giovanna Giordano.

Le Cinéma Public a donné une énergie nouvelle au centre communautaire italien, souligne-t-elle. « Je suis très heureuse que le cinéma amène des gens qui n’ont jamais mis les pieds ici et qui habitent tout près », se réjouit-elle.

Aller voir un film alors qu’à l’étage, il y a de la danse, des cours de cuisine italienne ou une grande réunion familiale ? C’est juste au Cinéma Public que ça se passe !

1. Lisez « Le triste destin de l’Empress » Lisez « Ce qu’est devenu le cinéma Le Château » Lisez « Vivre dans l’ancien Théâtre Snowdon » Lisez Quand le Théâtre Denise-Pelletier était le Granada »