Montréal et son Grand Prix de Formule 1 auraient vraisemblablement été un champ de bataille judiciaire entre Ford et Ferrari, si le constructeur italien avait persisté dans sa décision d'appeler « F150 » sa voiture de F1 2011, estime Normand Legault, l'ancien promoteur du GP du Canada.

La semaine dernière, Ford s'est objectée en cour à ce que Ferrari utilise la désignation F150, arguant que ce nom est une copie illégale de sa marque déposée F-150, qui désigne ses populaires pick-ups. Ferrari a aussitôt changé le nom de son bolide (Ford ne dit pas si elle est satisfaite du changement).

C'est logiquement devant un tribunal de Montréal, juste avant le Grand Prix, le 12 juin, qu'aurait pu avoir lieu l'épisode le plus public de l'affrontement, croit M. Legault, qui demeure actif dans la course automobile comme président du conseil d'administration du Parc Jean-Drapeau et négociateur de cette société avec les promoteurs de courses qui louent le circuit Gilles-Villeneuve. « Ford aurait pu demander à un tribunal à Montréal une injonction contre Ferrari. S'ils l'avaient fait, c'est avant la course, quelque part entre l'aéroport et le circuit Gilles-Villeneuve, que ça se serait passé. Ils n'auraient pas attendu que les voitures soient rendues au paddock », a dit M. Legault cette semaine en entrevue téléphonique, alors qu'il attendait l'avion pour se rendre à la course Daytona 500, pour des rencontres avec les dirigeants du circuit NASCAR.

Sans se prononcer sur le fond du litige, M. Legault note que Montréal est la seule escale du Grand Prix en Amérique du Nord et que l'immense intérêt soulevé par l'événement, le 12 juin, aurait donné une exposition directe à la F150 dans le marché naturel du Ford F-150. « Alors, oui, aller en cour aurait pu être perçu comme une solution par Ford. Ils auraient pu agir ici à l'occasion du Grand Prix du Canada, en se disant : c'est notre territoire, c'est ici que ça se vend ».

Ô Canada, terre de nos F-150

Historiquement et toutes proportions gardées, le F-150 est encore plus populaire au Canada qu'aux États-Unis. L'an dernier, Ford a vendu 528 349 F-150 aux États-unis et 97 913 au Canada. Le F-150 domine le marché canadien des pick-ups depuis 45 ans sans interruption. Aux États-Unis, cette domination ininterrompue remonte à 34 ans.

M. Legault, qui a oeuvré dans la Formule 1 durant trois décennies (de 1978 à 2008), dit que les disputes portant sur les noms de marque sont fréquentes dans ce sport aux grands enjeux commerciaux. « Mais le plus souvent, ça n'est jamais connu du public, ça se règle dans les coulisses. » Des appellations de voitures ont déjà fait problème, dit-il.

Selon M. Legault, Ford agit surtout pour établir les précédents juridiques d'une défense active de sa marque déposée, comme la loi sur les marques l'impose aux détenteurs de droits. La désignation F150 de Ferrari ne représente pas de menace commerciale importante.

Même si le litige n'est pas encore réglé, Ferrari a certainement enlevé beaucoup d'arguments à Ford le jeudi 10 février en s'empressant de rebaptiser son coursier F1 « Ferrari F150th Italia ». Le changement de nom a eu lieu moins de 24 heures après que Ford eut déposé une demande d'injonction et d'une poursuite en dommages et intérêts en cour fédérale, à Detroit. Les requêtes visent Ferrari SPA, en Italie, et sa filiale américaine, Ferrari North America. Ferrari n'a admis aucun tort et affirme qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les deux véhicules.

Le litige n'est pas réglé

Le 25 janvier, quand Ferrari avait dévoilé sa voiture de course pour la saison de F1 2011, elle avait expliqué que la désignation F150 visait à commémorer le 150e anniversaire de l'unification de l'Italie, en 1861. Avec l'ajout récent du suffixe anglais « th » après le chiffre 150 (150th Anniversary), Ferrari dit avoir pleinement démontré sa bonne foi. Ferrari s'est aussi engagée à toujours utiliser la désignation « Ferrari F150th Italia », au long, dans ses communications sur l'engin de course.

Les chances de voir ce conflit commercial et judiciaire s'étendre au Canada à l'occasion du Grand Prix de Montréal semblent donc minimes.

Cependant, Ford ne considère pas encore le dossier clos. Vendredi, La Presse a demandé par courriel à Ford si elle considère acceptable le nouveau nom adopté par Ferrari pour sa F1, et si elle a retiré ses requêtes devant les tribunaux américains.

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Ford soutient qu'il a construit "une valeur de reconnaissance inestimable dans la marque de commerce F-150. Cette valeur chèrement acquise est sérieusement menacée par l'adoption par Ferrari du nom F150."

« Nous sommes en discussion avec Ferrari », a répondu Ford, en ajoutant ceci : « Il est inapproprié pour toute compagnie d'utiliser la célèbre et distinctive marque de commerce de Ford, F150, de quelque façon que ce soit ».

Quand on a demandé à Ford si elle pourrait exercer ses droits devant un tribunal canadien si son contentieux avec Ferrari n'est pas réglé à sa satisfaction d'ici le Grand Prix de Montréal, la compagnie a répondu par un prévisible « pas de commentaires ».

Clairement, Ford trouve que c'est un enjeu commercial important (sans compter que Ford pourrait, un jour, décider de s'impliquer dans la F1, observe M. Legault).

Beaucoup de clients Ford à se mettre à dos

Mais selon M. Legault, demander une injonction interdisant à Ferrari de courir à Montréal comprendrait « un risque à calculer » pour l'Ovale bleu. « Dans les gradins, à Montréal, il y aurait 100 000 spectateurs nord-américains » voulant tous voir Ferrari courir. « C'est beaucoup plus de clients de Ford que de Ferrari à se mettre à dos », a-t-il fait remarquer.

Une telle démarche judiciaire à Montréal affecterait peu le Grand Prix du Canada et son promoteur local, sous l'aspect juridique, dit-il. « Il y aurait les programmes, qui mentionneraient sans doute la voiture par son nom et il faudrait modifier les communiqués de presse. Autrement, le Grand Prix n'aurait pas à se prononcer sur le fond et, de toute façon, n'aurait aucune influence là-dessus. Ça se ferait au niveau de Ferrari et de la Fédération internationale de l'automobile.»

M. Legault connait mieux la direction de Ferrari que celle de Ford. Ferrari, même détenue à 85 % par Fiat, est une petite filiale très autonome et totalement tournée vers la performance, où la F1 est primordiale. Selon lui, il est parfaitement vraisemblable que Ferrari n'ait tout simplement pas pensé au F-150 de Ford quand elle a décidé d'appeler sa F1 « F150 » pour la saison 2011. « Ce n'est pas de l'arrogance de la part de Ferrari, c'est possible que ce soit juste un bête oubli, dit-il. Vous savez, être Ferrari, en Italie, c'est un peu insulaire, c'est très isolé et très loin de la planète pick-up.»

La poursuite de Ford allègue que Ferrari pourrait profiter indûment de la notoriété du F-150, au chapitre des produits dérivés. Mais M. Legault, qui s'est beaucoup familiarisé avec l'univers NASCAR dans ses nouvelles fonctions, pense que les clientèles sont tellement disparates et sans contact, que les dommages de Ford ne seraient pas faciles à démontrer.

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Quand Ferrari a annoncé le nom de sa F150, le 25 janvier, dernier, elle avait indiqué que le nom rendait hommage au 150e anniversaire de l'unification de l'Italie, en 1861.