Vous connaissez la marque, le concessionnaire, parfois même l'endroit où elle est assemblée. Mais savez-vous réellement qui a conçu votre voiture?

Si votre véhicule connaît des ennuis de fiabilité, le responsable n'est peut-être pas celui auquel vous songez. En effet, derrière les marques, il y a les fournisseurs, les sous-traitants si vous préférez. Ce sont eux les vrais responsables des mauvais - et des bons - coups. Le constructeur n'a pour seul mérite que de les avoir invités à participer à la mise en forme d'un nouveau véhicule.

La Volkswagen Tiguan est un bon exemple. Hormis le style et l'assemblage, VW n'a rien inventé: le toit ouvrant provient de chez ArvinMotor (vous connaissez?), le catalyseur catalytique de chez Faurecia et l'ampoule qui éclaire la plaque d'immatriculation provient de chez CML. Vous voulez connaître la responsabilité de Huf Hülsbeck&Fürst dans ce projet? Les serrures. De Batz? Le cric et le matériel accompagnant la roue de secours. De Pilkington aussi? La lunette arrière. D'autres questions?

Donc, si vous êtes exaspéré par une quelconque défaillance de votre véhicule, ne blâmez pas la marque, mais plutôt un ou ses fournisseurs. À quoi bon trouver le responsable dans la mesure où cette information n'a aucune valeur sur le plan consumériste, puisque la voiture, et donc chacun de ses composants, est garantie par le constructeur ? C'est que celui-ci n'a plus toujours les compétences pour résoudre une défaillance.

À la différence des voitures de jadis, dont la plupart des composants étaient estampillés Ford, Volkswagen ou Nissan, plus de 65% des composants des voitures actuelles proviennent de fournisseurs. Et si ceux-ci ont longtemps été de simples exécutants, il en va autrement aujourd'hui, puisqu'ils disposent d'un bureau d'études et de développement et investissent des sommes considérables dans la mise au point de nouveaux systèmes. Les constructeurs automobiles ont non seulement consenti à ce transfert des compétences, mais ils l'ont en plus encouragé dans les années 80, alors qu'ils étaient à la recherche de la moindre économie.

Ce qui est étudié et développé par un fournisseur mobilise évidemment beaucoup de temps, d'énergie et d'argent - des ressources que le constructeur peut consacrer à autre chose. Il estime au passage que le fournisseur évolue dans sons propre champ de compétence (freinage, transmission, électronique, allumage injection, équipements, sièges, etc.) et peut amortir ses recherches en proposant ses découvertes à d'autres marques. En démultipliant les productions sur diverses pièces anonymes qui ne signent pas une marque, comme le style, par exemple, quand celui-ci n'est pas confié à une maison externe (ex: Pininfarina, Guiargio, etc.), les fournisseurs ont été condamnés à la fuite en avant, à une croissance permanente qui a fait de ces PME des géants de l'équipement.

Si le design reste une prérogative des firmes automobiles, c'est l'un des derniers domaines qui signent vraiment une création. Les constructeurs, au-delà des apparences sur lesquelles ils veillent pour la plupart jalousement, se contentent de plus en plus d'être des assembleurs.

À l'origine de ce véritable transfert de compétences: un Espagnol passé maître dans l'art de diminuer les coûts et donc d'améliorer la compétitivité d'un produit final. Ignacio Lopez, qui avait déjà exercé ses talents chez GM, s'est exprimé pleinement après son transfert spectaculaire chez VW. Il n'a pas été le seul. Carlos Ghosn, actuel président et chef de la direction de Nissan et de Renault, savait lui aussi traquer les économies. D'ailleurs, c'est à cette époque qu'il s'est vu attribuer le surnom de «Cost Killer». Comme Lopez, Ghosn et plusieurs autres ont été de ceux qui ont imposé la présence des fournisseurs sur le site même de l'usine d'assemblage, les ouvriers de ceux-ci produisant au voisinage immédiat du site et leur livrent des modules complets. Les employés de l'usine n'ont qu'à brancher le tout sur les voitures.

Aujourd'hui, les fournisseurs sont à la tête des deux tiers (en valeur) d'une voiture, une mainmise qui devrait croître jusqu'à près de 80% d'ici 2015 selon certaines études.

Les bureaux de recherche et de développement des sous-traitants, qui fournissent 70% des investissements en recherche, devraient croître encore jusqu'à 80%, ce qui donnerait une maîtrise technologique quasi totale sur un produit fini. Car, que reste-t-il aux constructeurs hormis le style, qui signe, il est vrai, toute la personnalité d'un modèle, et le moteur? Mais même ce dernier est en passe de se banaliser car les constructeurs commencent à les partager entre marques. Ainsi, le futur moteur diesel de la Mitsubishi Outlander proviendra de chez PSA (Peugeot-Citroën). Le phénomène n'a rien de nouveau pour quiconque se rappelle l'époque des AMC, des voitures assemblées à l'aide «des meilleurs composants de l'industrie américaine», disait mon grand-père qui ne connaissait pas grand-chose à l'automobile.

Bref, la tentation pourra survenir un jour, avec la naissance de groupes fournisseurs géants qui pourront se passer des constructeurs et projeter leurs propres voitures. Jusqu'ici, on a vu les marques les plus prestigieuses faire antichambre chez Bosch, par exemple, pour obtenir notamment la technologie du diesel propre ou encore la rampe commune d'injection. Encore un pas et les constructeurs ne seront plus les maîtres d'oeuvre de leurs propres créations.