Le système d’éducation québécois est le plus inégalitaire au Canada et son volet public constitue désormais une « entrave » au développement, dénonce le réalisateur Érik Cimon dans un documentaire percutant intitulé L’école autrement. Il pointe aussi des pistes de solution qui secoueraient considérablement les écoles.

On ne pourra pas reprocher au réalisateur Érik Cimon de tourner autour du pot : les premières minutes de son film L’école autrement posent un constat très dur. Il évoque un système à trois vitesses où les élèves sont triés selon le revenu de leurs parents, le quartier où ils habitent, leur profil neurologique ou leur performance. Surtout, il évoque une trahison de la commission Parent, qui a révolutionné l’école québécoise dans les années 1960 et souhaitait en faire un moteur de l’égalité des chances.

« Le rapport Parent voulait que l’école publique soit un ascenseur social, elle est devenue une entrave au développement, affirme le réalisateur Érik Cimon. Si tu envoies ton enfant au régulier, tu te dis qu’il aura 15 % de chances d’atteindre l’université. Je ne dis pas qu’aller à l’université est le seul chemin pour réussir dans la vie, mais ce 15 %-là est éloquent quand on voit qu’au privé, c’est 60 % des élèves qui vont à l’université. »

Creuser les dessous du système d’éducation est un projet qui intéresse Érik Cimon depuis des années, étant donné que ses défis, ses ratés et ses réussites ont des ramifications dans de nombreuses autres sphères de la société. « L’éducation a une incidence sur pas mal tout, observe-t-il. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi le système ne marche pas et a autant de failles. Alors j’ai posé autant de questions que j’ai pu et j’ai compris. »

Qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans le système d’éducation ? La concurrence entre le public et le privé, d’abord.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Érik Cimon, réalisateur du documentaire L’école autrement

Les gens qui ont les moyens s’arrangent pour avoir de meilleurs services, une meilleure éducation et un meilleur contexte d’apprentissage pour leurs enfants. La compétition est inégale. On met les enfants en compétition dès le primaire sauf qu’il y en a qui chaussent des souliers de course et d’autres auxquels on attache des roches aux pieds.

Érik Cimon, réalisateur du documentaire L’école autrement

Ces « roches », ce sont les classes surpeuplées, où les élèves en difficulté sont surreprésentés et se retrouvent devant des professeurs et dans des écoles qui n’ont pas les ressources pour les accompagner adéquatement. Ce manque de mixité est la conséquence de l’écrémage provoqué par le système privé et les programmes publics spécialisés qui sélectionnent les élèves les plus performants et excluent volontiers les cas jugés « problématiques ».

Repenser les évaluations

L’une des solutions, selon le réalisateur et le mouvement École ensemble : intégrer les écoles privées au système public, les financer à 100 %, retirer la possibilité de sélectionner les élèves et faire en sorte que les écoles privées restantes soient totalement privées et que les parents en assument l’intégralité de la facture. Sur le plan économique, le projet se tient, assure le réalisateur. Mais ce n’est qu’un pas parmi d’autres.

Une partie conséquente de L’école autrement s’intéresse au type d’évaluation effectué à l’heure actuelle – les notes –, qui est jugé contre-productif par bien des experts et des intervenants, qu’ils œuvrent au public ou au privé. « Ça brise les élèves, juge Érik Cimon. L’évaluation devrait servir à s’améliorer, à faire des erreurs et à en tirer des apprentissages, pas à donner des notes qu’un enfant traînera comme des boulets. »

Ce qui est au cœur de son film, au fond, c’est une vision de l’éducation et du rôle qu’elle joue dans la société : un lieu de développement et d’intégration, un lieu d’innovation, un lieu de mixité qui tire les jeunes vers le haut et leur permet de développer une pensée critique. Des objectifs que l’école fragmentée actuelle peine à atteindre, dit-il, en raison de la composition des classes, mais aussi de la lourde structure qui pèse sur le système public.

« On ne fait pas confiance aux profs, ils n’ont pas de liberté professionnelle, déplore Érik Cimon. Comment ça se fait que les écoles privées vont si bien sans commissions scolaires ou centres de services ? Comment ça se fait qu’elles peuvent agir avec autonomie et que les écoles publiques n’en seraient pas capables ? Ça, c’est l’éléphant dans la pièce. »

L’école autrement donne la parole à des enseignants allumés, engagés, mais aussi indignés qui souhaiteraient voir le système se réinventer. Or, et c’est l’un des aspects les plus inquiétants du documentaire d’Érik Cimon, personne ne sent de volonté réelle d’attaquer les enjeux de fond. Et le fait que la plupart des ministres de l’Éducation, à quelques exceptions près, envoient leurs propres enfants au privé ne donne pas beaucoup d’espoir au réalisateur de voir les choses changer.

L’école autrement est présenté mardi, à 20 h, sur Télé-Québec et sur video.telequebec.tv.