(Paris) Il a fallu attendre 32 ans. Mais c’est finalement chose faite. La demeure de Serge Gainsbourg vient d’ouvrir ses portes au grand public, musée en prime. Un succès monstre. La Presse a visité.

Un paquet de Gitanes sur la table, des femmes nues sur les murs, un piano à queue... La maison de Serge Gainsbourg est à peu près comme on se l’imaginait, mais plus encore. Trente-deux ans après la mort du chanteur, rien n’a changé au 5 bis, rue de Verneuil. Comme si le temps s’était arrêté le 2 mars 1991.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Rue de Verneuil, des visiteurs postés devant le 5 bis

Il y a longtemps que Charlotte Gainsbourg souhaitait ouvrir au public la demeure de son père. Apparemment, il avait lui-même évoqué cette possibilité. Mais pour des raisons diverses, le projet a tardé à voir le jour. C’est désormais chose faite. Depuis le mois de septembre, on peut visiter les lieux comme si on faisait partie de la famille. Un pèlerinage d’une demi-heure, auquel s’ajoute le musée Gainsbourg, situé juste en face, tout récemment inauguré lui aussi.

Disons-le simplement : cette visite est une expérience singulière et émouvante. Pas seulement parce qu’on entre dans l’intimité du chanteur, mais aussi parce que c’est sa fille en personne qui nous accompagne pendant le parcours, par le truchement d’un audioguide.

« Laissez-moi vous ouvrir la porte », dit-elle, avant de nous faire pénétrer dans la grande salle du rez-de-chaussée, où Serge avait l’habitude de recevoir et de composer.

PHOTO JEAN-BAPTISTE MONDINO, FOURNIE PAR LA MAISON GAINSBOURG

Charlotte Gainsbourg vous accueille chez son père.

Cabinet de curiosités

Dans la pénombre, on voit d’abord le piano à queue qui trône au milieu de la pièce. Puis, nos yeux s’habituent et l’on discerne peu à peu le cabinet de curiosités qui meublait son quotidien. Des écussons de police (qu’il collectionnait), des disques d’or, un orgue, des dizaines d’objets hétéroclites, un cadre géant de Brigitte Bardot – avec qui il projetait de vivre dans cette maison, acquise en 1968, et dans laquelle il a finalement habité avec Jane Birkin, de 1969 jusqu’à leur séparation en 1981.

PHOTO MARTIN BUREAU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une femme passe devant la maison de Serge Gainsbourg couverte de graffitis rue de Verneuil, à Paris.

Mais ce qui frappe, par-dessus tout, c’est le fait que rien n’a bougé en 32 ans. Ici un paquet de Gitanes et un cendrier rempli de mégots froids. Plus loin une mallette déposée sur le sol, à côté d’un canapé défoncé qui a gardé la forme de son corps. Un téléphone, des journaux. Comme si Serge n’était parti que depuis 10 minutes pour aller se servir un verre. Comme s’il était toujours vivant.

PHOTO ELLIOTT VERDIER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Un briquet et un paquet de cigarettes ayant appartenu à Serge Gainsbourg

Charlotte Gainsbourg tenait à conserver la maison intacte. Une façon pour elle de préserver sa mémoire et de lui rendre visite même après sa mort. C’est particulièrement frappant dans la petite cuisine au bout du rez-de-chaussée, où les pots de condiments côtoient une bière dans le frigo (la porte est transparente) et des bouteilles de vin vides, dont un Château Haut-Brion 1928, année de naissance de l’auteur-compositeur-interprète.

L’expérience devient encore plus surréelle au 2étage. Dans un placard minuscule, ses chemises et ses vestons sont suspendus au-dessus de ses éternelles savates blanches. Puis on emprunte le couloir. On passe devant la salle de bains où, apprend-on, il ne se lavait qu’au bidet. Pour finalement aboutir à la chambre à coucher, où il a aimé... et où il est mort. « Il avait une jambe qui sortait des draps. On l’a trouvé comme ça, murmure Charlotte dans les écouteurs. On s’est couchées à côté de lui. Le temps s’est arrêté. On l’a fait embaumer pour pouvoir rester plus longtemps. Dehors, des gens chantaient Je suis venu te dire que je m’en vais. »

Difficile de faire plus intime. L’accès qu’on nous donne à l’antre gainsbourien est tout simplement exceptionnel. On pourrait facilement se sentir voyeur. Mais puisque c’est Charlotte qui nous prend par la main et fait partager ses souvenirs, ça passe mieux. On se sent autorisés, quasiment invités.

Étonnant, par ailleurs, de constater à quel point l’endroit est petit. Loin d’un manoir, cet ancien hôtel particulier est fait de plafonds bas et de couloirs étroits. L’exiguïté des lieux fait en sorte qu’on ne peut pas tous y être en même temps. Contrairement à la maison d’Elvis, qu’on visite en troupeau, on entre ici au compte-gouttes, avec l’impression d’être quasiment seul. Sensation d’intimité, renforcée par tous ces murs peints en noir et ces fenêtres aux volets fermés, qui nous enveloppent ou nous oppressent, c’est selon. Gainsbourg vivait de nuit, même le jour...

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

La statue de l’homme à tête de chou, rendue célèbre grâce à l’album du même nom

Sortie Gainsbar

Après ce huis clos intense, on est forcément moins touché par le musée situé de l’autre côté de la rue, plus prévisible, où l’on suit la carrière du chanteur dans un long couloir en huit stations. Il y a pourtant beaucoup de trésors à voir, entre les manuscrits de chansons, les vieux 45 tours, des objets personnels et des films d’archives parfois rarissimes. Sans compter la statue de l’homme à tête de chou, rendue célèbre grâce à l’album du même nom, qui nous contemple du bout du corridor.

  • Bienvenue au Gainsbar…

    PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON GAINSBOURG

    Bienvenue au Gainsbar…

  • Le Gainsbar, pour évacuer la visite…

    PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

    Le Gainsbar, pour évacuer la visite…

  • Objets ayant appartenu à Gainsbourg

    PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

    Objets ayant appartenu à Gainsbourg

  • Des artefacts précieux pour les admirateurs

    PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

    Des artefacts précieux pour les admirateurs

  • Je t’aime moi non plus... un succès international

    PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

    Je t’aime moi non plus... un succès international

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Le tout se termine – non sans humour – au bien nommé Gainsbar, un lounge chic en hommage au chanteur où l’on peut notamment siroter ses cocktails favoris, le « Serge 78 », le « Fameux Gibson » ou le « Pastis 102 » (soit un double pastis 51). Un brin attrape-touristes, mais un bon sas d’évacuation, après notre expérience.

Quelques artistes français, dont Eddy Mitchell et Étienne Daho, ont exprimé leur opposition au projet. Mais pour les admirateurs de Gainsbourg, ce pèlerinage est absolument incontournable. Émotivement puissant. Comme le dit si bien Michel, fan belge rencontré à l’extérieur : « On ne sort pas d’ici dans le même état que quand on est entré. »

La maison Gainsbourg connaît un succès phénoménal auprès du grand public. On affichait complet même avant l’ouverture, et tous les créneaux déjà affichés sont pris. On suggère de s’inscrire à l’infolettre pour être mis au courant des nouveaux horaires.

Consultez le site de la maison