Ils étaient plusieurs centaines d’admirateurs, rassemblés jeudi au parc Jeanne-Mance, à Montréal, à pleurer et à célébrer Karl Tremblay, dont la mort avait été annoncée la veille.

« Ça peut avoir l’air gros à dire, mais je ne serais pas la personne que je suis sans les Cowboys, sans lui. Il a donné une voix à une génération au complet. »

Pour Nancy, bien des étapes de la vie sont associées à la musique de Karl Tremblay et des Cowboys Fringants. Son « chanter québécois » l’a portée dans ses prises de conscience à l’adolescence, dans ses réflexions à l’âge adulte, dans ses moments de joie et ses moments de peine. Aujourd’hui, comme tant d’autres, elle est « en grand deuil ».

On savait déjà de son vivant à quel point le Québec l’aimait. Depuis son départ, mercredi, l’ampleur de cette affection pour Karl Tremblay se fait sentir. C’est d’une tristesse infinie, mais c’est aussi sublime. Au son de la musique du groupe qu’ils adorent, qu’ils entonnent tous en chœur, les Montréalais pleurent et s’étreignent. En chantant Les étoiles filantes, Le shack à Hector ou L’Amérique pleure, ils se consolent d’une peine difficile à décrire. Celle de la perte d’un artiste qu’ils ne connaissaient pas vraiment, pas personnellement, mais qui a laissé dans leur vie une trace indélébile.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Veillée à la mémoire de Karl Tremblay au parc Jeanne-Mance, à Montréal

« On a souvent l’impression que les artistes sont loin de nous, mais lui, à sa façon, il était près de nous. On ne le connaît pas personnellement, mais il nous a suivis toute notre vie, il a écrit la soundtrack de nos vies », dit Nancy.

« On voulait pouvoir partager cette peine, ajoute Émilie, son amie de toujours, à ses côtés. C’est tellement un choc pour nous, tellement une grosse perte… C’est une façon de commencer à passer au travers. On en avait besoin. »

Au centre du large rassemblement d’admirateurs, on a formé le prénom Karl avec des lampions. Un peu partout autour du monument à sir George-Étienne Cartier, on croise des familles, des gens de toutes les générations. Certains chantent toutes les chansons par cœur, d’autres s’aident des paroles sur leur cellulaire. On boit des bières, on brandit des drapeaux du Québec, on fait de ce moment une communion réconfortante : même dans le deuil, les amoureux des Cowboys Fringants rendent hommage à leur chanteur dans une ambiance qui rappelle celle que sa bande et lui voulaient créer avec leur public.

Plusieurs personnes que nous abordons nous répondent, le regard embué par les larmes, qu’ils sont trop émus pour parler. Marion Archambault et Bérangère Thomas, elles, acceptent de nous raconter ce que leur groupe favori a fait pour elles. « Ça fait du bien de parler de lui », nous dit Marion, arrivée de France il y a 17 ans, pour qui la musique des Cowboys Fringants a été une rencontre avec sa nouvelle identité québécoise.

« De me dire qu’on n’entendra plus cette voix après le dernier album, ça me donne le sentiment que c’est une partie de mon identité qui a disparu. »

Être ensemble

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Veillée à la mémoire de Karl Tremblay au parc Jeanne-Mance, à Montréal

L’évènement à Montréal a été planifié peu de temps après l’annonce de la mort de Karl Tremblay. En moins de 24 heures, près de 2000 personnes ont manifesté leur intérêt sur Facebook ou indiqué qu’ils seraient présents à la veillée. Ils étaient plusieurs centaines, 500 au moins, amassés autour de quelques musiciens qui se sont improvisés accompagnateurs de la chorale d’admirateurs, le temps de quelques heures. Le temps de « vivre ce deuil ensemble », comme l’exprime Nancy.

« L’évènement a pris une ampleur incroyable et inespérée, qui n’aurait pas dû me prendre de court, car est-ce si surprenant qu’on soit autant à vouloir lui rendre hommage ? », a écrit jeudi l’organisateur du rassemblement, qui explique également l’avoir fait sur un coup de tête et n’avoir prévu aucune réelle organisation.

La chose s’est faite naturellement. On a sorti les instruments, les lampions et les lumières des téléphones, en guise d’« étoiles filantes ».

« Tous ces rassemblements spontanés dans plusieurs villes en même temps, ça montre qu’il y a beaucoup de monde qui a eu le même besoin de se retrouver ensemble », affirme Émilie.

Abigaelle et Maya ont toutes les deux 16 ans. Les deux cousines sont venues de la Rive-Sud avec leur famille pour dire au revoir à Karl Tremblay, qui faisait partie de leur vie « depuis toujours ».

« C’est un truc de famille pour nous », dit Abigaelle. Avec la mort du chanteur dont la voix l’a accompagnée de l’enfance à l’adolescence, Maya a l’impression « que c’est une étape de [s]a vie qui se termine ». Quelque chose en elle s’en va avec Karl Tremblay.

« Mais d’être ensemble ici, ça montre que le Québec se tient et se soutient. Je trouve ça beau. On voit qu’il y avait beaucoup, beaucoup de gens qui l’aimaient. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Veillée à la mémoire de Karl Tremblay au parc Jeanne-Mance, à Montréal

Plusieurs rassemblements du genre ont été organisés au Québec. « C’est très rare de voir ce genre de chose quand un artiste meurt, on ne les pleure pas de cette façon d’habitude », observe Nancy. « Mais s’il n’y avait pas eu cet évènement à Montréal, on serait allées à L’Assomption. Il fallait qu’on aille quelque part. »

Témoignages d’admirateurs
  • « Il y a une chanson pour chaque étape significative de notre vie et pour chacune de nos émotions, dit Nancy (à droite), accompagnée de sa grande amie Émilie, pendant que la foule entonne La manifestation. Il parlait des choses qui étaient moins dites, il a donné une voix à une génération au niveau de l’éveil politique, de l’éveil environnemental, tout ça. »

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

    « Il y a une chanson pour chaque étape significative de notre vie et pour chacune de nos émotions, dit Nancy (à droite), accompagnée de sa grande amie Émilie, pendant que la foule entonne La manifestation. Il parlait des choses qui étaient moins dites, il a donné une voix à une génération au niveau de l’éveil politique, de l’éveil environnemental, tout ça. »

  • « C’est tellement important de se regrouper en ce moment. C’est une personne qui a touché plusieurs générations, dont la mienne, dit Shana, qui est venue avec son conjoint et leur bébé. J’ai énormément de souvenirs associés à ce groupe, dans mon adolescence en particulier, mais jusqu’à l’âge adulte aussi. »

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

    « C’est tellement important de se regrouper en ce moment. C’est une personne qui a touché plusieurs générations, dont la mienne, dit Shana, qui est venue avec son conjoint et leur bébé. J’ai énormément de souvenirs associés à ce groupe, dans mon adolescence en particulier, mais jusqu’à l’âge adulte aussi. »

  • « C’est un des tout premiers spectacles que j’ai vus dans ma vie. Les Cowboys ont toujours fait partie de ma vie », affirme Abigaelle (à gauche), 16 ans, accompagnée de sa cousine Maya et d’autres membres de sa famille.

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

    « C’est un des tout premiers spectacles que j’ai vus dans ma vie. Les Cowboys ont toujours fait partie de ma vie », affirme Abigaelle (à gauche), 16 ans, accompagnée de sa cousine Maya et d’autres membres de sa famille.

  • « Je ne suis pas une fan [absolue] des Cowboys Fringants, mais je les ai vus en concert, je les connaissais, dit Noé Abauzit. Et je sais à quel point Karl Tremblay était un personnage important de la culture. Même en France, j’ai des amis qui vivent cette perte. Je voulais voir ce rassemblement, peut-être aussi parce que ça m’aide à m’intégrer. »

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

    « Je ne suis pas une fan [absolue] des Cowboys Fringants, mais je les ai vus en concert, je les connaissais, dit Noé Abauzit. Et je sais à quel point Karl Tremblay était un personnage important de la culture. Même en France, j’ai des amis qui vivent cette perte. Je voulais voir ce rassemblement, peut-être aussi parce que ça m’aide à m’intégrer. »

  • « À mon arrivée au Québec, leur musique a fait partie de mon intégration, témoigne Marion Archambault (au centre). J’écoute les chansons des Cowboys et je trouve mon sentiment d’appartenance. Ils représentent “notre Québec”. »

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

    « À mon arrivée au Québec, leur musique a fait partie de mon intégration, témoigne Marion Archambault (au centre). J’écoute les chansons des Cowboys et je trouve mon sentiment d’appartenance. Ils représentent “notre Québec”. »

1/5
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

C’est rare, des moments comme ceux-là, et pourtant, ça semble tout à fait logique, inévitable. Quand un artiste rassemble les gens comme l’a fait Karl Tremblay tout au long de sa carrière, il ne semble pas y avoir de meilleure façon de célébrer sa vie que d’« être ensemble ».