Rendue possible par l’intelligence artificielle, la chanson Now and Then réunit les Fab Four pour la dernière fois. Ou pas. Décryptage.

L’évènement

Vous pensiez avoir fait le tour des Beatles ? Détrompez-vous. Malgré le fait que le citron a été pressé au maximum, les Fab Four trouvent encore le moyen de nous fourguer du « nouveau » matériel, ou plutôt du vieux rhabillé en neuf. Lancée le jour des Morts (coïncidence ?), Now and Then est présentée et mise en marché comme la chanson « finale » des Beatles. Dans les faits, il s’agit d’une vieille démo de John Lennon, enregistrée à la fin des années 1970, réarrangée en deux temps par les trois Beatles survivants, le tout assorti d’un petit documentaire YouTube pour expliquer le projet. Tout ce qui touche de près ou de loin au meilleur groupe pop de l’histoire est en soi un évènement. Mais était-ce vraiment nécessaire ? That is the question.

L’histoire

En 1994, Yoko Ono refile à Paul McCartney une cassette avec quatre démos enregistrées par son défunt mari sur un magnétophone à cassettes. Les trois Beatles survivants décident de les retravailler pour la série télé Anthology, qui s’annonce comme le documentaire définitif sur le groupe. L’exercice permet de ressusciter Free as a Bird et Real Love, qui connaîtront le succès que l’on sait au milieu des années 1990. Le trio avait commencé à bidouiller sur une troisième chanson, Now and Then, mais s’en était désintéressé, en raison de problèmes techniques (impossible de séparer le piano et la voix de John) et par manque d’inspiration (on rapporte que George Harrison l’aurait qualifiée de « fuckin rubbish »). Mais Paul n’avait jamais abandonné l’idée de finir le travail. C’est désormais chose faite, grâce à l’intelligence artificielle. En utilisant la même technologie que Peter Jackson sur le film Get Back, on est arrivé à isoler la voix de John et à retravailler le morceau convenablement. Paul McCartney et Ringo Starr ont refait leurs pistes de basse et de batterie. On a conservé la guitare rythmique de George (c’est Paul qui fait le solo, à la manière de). On a greffé un orchestre, des chœurs (dont certains repiqués sur Because et Eleanor Rigby) et voilà, miracle : on a une nouvelle toune des Beatles.

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La critique

Ne soyons pas cynique : il y a quelque chose d’émouvant à entendre les Fab Four à nouveau réunis. La magie des années 1960 n’opère plus, mais le résultat est de bonne facture et s’écoute bien. Now and Then n’est ni meilleure ni moins bonne que Free as a Bird ou Real Love. Elle s’inscrit tout à fait dans la même lignée, quoique la voix de Lennon semble plus incarnée, moins fantomatique, que sur les deux exercices précédents. Il y en aura plus d’un pour se réjouir de cette « résurrection » du groupe. Mais l’opération suscite quand même des questions. Sauf erreur, Free as a Bird et Real Love n’ont pas laissé d’empreinte durable dans la mémoire populaire. Pourquoi alors remettre le couvert ? L’accueil sera forcément favorable, mais il serait étonnant que Now and Then se transforme en classique. En ce qui nous concerne, il s’agit au mieux d’une curiosité, qu’on peut par ailleurs contester sur le plan éthique.

Écoutez la chanson complète

Et après ?

On peut se demander, en outre, s’il s’agit vraiment de la chanson « finale » des Beatles. Il serait étonnant que Paul et Ringo bossent sur d’autres démos sorties de derrière les fagots. Mais la technologie laisse entrevoir d’autres scénarios, plus terrifiants.

Selon Jonathan Bonneau, chercheur et professeur associé à l’École des médias de l’UQAM, il est déjà techniquement possible de créer une nouvelle chanson des Beatles à partir de tout le catalogue audio du groupe. Dans un avenir rapproché, on pourra également « personnaliser » son expérience, en demandant du « sur mesure » à nos machines.

PHOTO ARMAND TROTTIER, ARCHIVES LA PRESSE

Steven Tyler qui chante… du Queen ?

Les grandes plateformes comme Spotify vont se transformer en espaces de “customisation”, où on choisit soi-même ce qu’on veut entendre. Par exemple, j’aime beaucoup cette chanson de Queen, mais je préfère le chanteur d’Aerosmith. Je vais donc cliquer sur ces choix et on va me donner une interprétation de Queen à la manière d’Aerosmith.

Jonathan Bonneau, chercheur et professeur associé à l’École des médias de l’UQAM

Impressionnant sur papier, mais avec des bémols, ajoute M. Bonneau. « Une des difficultés, c’est qu’il n’y a pas de sentiment esthétique ni d’intention par la machine. Ce que l’intelligence artificielle arrive à faire, c’est prendre tout cela pour créer quelque chose de similaire. Mais ça prend quand même des humains pour juger de la qualité esthétique de la chose, et ils vont passer des heures à éplucher du matériel pour arriver à trouver une perle. »

Ringo jouant Let It Be à la façon du batteur de Metallica, pendant que Paul chante avec la voix de Beyoncé : on en rêve déjà…

Voyez le documentaire sur la chanson