C’est l’histoire d’un objet musical aux multiples vies. Jimmy Hunt a fait paraître simultanément vendredi deux albums intimement liés, mais qui ont éclos dans des procédés créatifs aux antipodes. L’auteur-compositeur-interprète a raconté à La Presse l’histoire des albums Gros-Bec et Royaume.

S’il avait fallu sept ans après l’album Maladie d’amour pour entendre de nouveau Jimmy Hunt s’exprimer en solo, l’attente est cette fois bien plus courte. Après Le silence en 2020, l’auteur-compositeur-interprète propose cette fois un duo d’albums.

Comme pour l’opus précédent, pas d’annonce au préalable, pas d’extraits pour donner un aperçu du projet, pas de promotion à part quelques entrevues. « Je préfère ça comme ça. En essayant de mousser interminablement la sortie, je trouve que ça met parfois l’attention à la mauvaise place », nous dit Jimmy Hunt.

Au final, c’est des albums qu’on va se mettre dans les oreilles, puis décider si on aime ou pas. En recevant tout d’un coup, je trouve que ça permet de se faire une idée plus juste.

Jimmy Hunt

Le public aura ainsi à se faire une idée de ces deux disques aux approches opposées. Des antithèses qui, pourtant, se complètent et se répondent. Gros-Bec est spontané, euphorique et imparfait, baigné dans l’essence rock. Face à lui, son alter ego, Royaume, délicat et structuré, sur lequel la synth-pop laisse résonner des moments de calme planant.

Très haut, puis très bas

Tout a commencé avec Gros-Bec. Ou plutôt avec la rencontre entre Jimmy Hunt et le musicien Pierre Guy Blanchard, qui ont ensemble donné vie à cet album. « Nos amis communs nous disaient qu’il fallait qu’on se rencontre, qu’on collabore », raconte Hunt.

Ce dernier est installé à Maria, en Gaspésie, depuis quelques années maintenant. Pierre Guy Blanchard réside à Charlo, au Nouveau-Brunswick, « de l’autre côté de la baie des Chaleurs ». Les deux artistes ont fini par se réunir et ont vite commencé à faire de la musique ensemble. « De plus en plus, on parlait d’un projet. Il a un studio à Montréal et quand j’étais en ville, on passait des soirées à [enregistrer]. »

En laissant place à la spontanéité des enregistrements live, ils ont créé les yeux bandés, avides de mettre au monde un objet qui n’appartiendrait pas à un carcan précis.

Mais après un temps, la direction du projet finit par leur glisser des mains, et Pierre Guy Blanchard s’est retrouvé de plus en plus occupé, alors que sa conjointe était sur le point d’accoucher. Le « momentum » de cet album en devenir est tombé.

Second souffle

Pour Jimmy Hunt, cela ne signifiait toutefois pas d’arrêter de travailler sur de la nouvelle musique. « J’avais une autre idée. J’ai appelé [le musicien] Steeven Chouinard, avec qui j’avais fait Le silence. On a réuni des musiciens. C’était vraiment un truc à l’inverse de ce que je faisais avec Pierre Guy. Là, c’était hyper contrôlé et ça me faisait du bien. »

En travaillant sur ce qui deviendrait l’album Royaume, l’auteur-compositeur-interprète n’a pas senti le besoin de « faire beaucoup de nouvelles compositions ». Il a plutôt déconstruit une partie de la matière qu’il avait formée avec Pierre Guy Blanchard.

Extrait de la chanson Les étoiles m’écoutent, sur Gros-Bec

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« J’ai fait un album beaucoup plus directif, beaucoup moins maximaliste que Gros-Bec l’était à un certain stade. Sur Royaume, il n’y a pas de climax, il n’y a jamais rien qui s’emporte. »

Certaines compositions se retrouvent alors sur les deux albums, dans des formes diamétralement opposées. Car les séances d’enregistrement avec Pierre Guy Blanchard étaient encore là, « sur une tablette », et lorsque Royaume a été terminé, Jimmy Hunt a ressorti ces morceaux. « J’ai rappelé Pierre Guy, qui avait alors du temps. On a réouvert le dossier et on a démêlé tout ça, ce qui a été quand même compliqué ! »

La sortie de Royaume approchait et Gros-Bec devait absolument voir le jour en même temps, l’un étant intrinsèquement lié à l’autre.

Extrait de la chanson Les étoiles, sur Royaume

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« Ça m’a forcé à prendre énormément de décisions rapidement et c’est une bonne chose parce que si j’avais eu tout mon temps, je serais encore en train de réfléchir ! La contrainte de temps m’a forcé à trouver un album dans tout ce bagage d’idées, à me fier à mes sens. »

Homme de peu de mots

Comme il le fait souvent, Hunt garde la plupart du temps ses textes succincts sur ces disques. Certains morceaux de Gros-Bec et de Royaume ne sont ainsi faits que de quelques mots. « Des fois, tu te demandes si la chanson est vraiment finie, dit-il. Je me dis que ça pourrait être plus. Mais finalement, non, je l’aime de même ! […] Et ça laisse la musique parler aussi, alors qu’elle est parfois négligée dans certaines œuvres où il y a beaucoup de texte. »

Dans ces paroles, il aborde le doute, les relations à distance ou sa propre vulnérabilité. Parsemée dans ses textes, la nature habite l’œuvre, comme elle habite la vie de l’artiste dans son coin de Gaspésie.

Notre environnement nous traverse. Le rapport aux montagnes, aux oiseaux, aux ciels, aux arbres joue sur l’humeur, affecte le quotidien.

Jimmy Hunt

Gros-Bec et Royaume arrivent dix ans, presque jour pour jour, après la parution de Maladie d’amour. Cet album grandiose a été un tournant pour Jimmy Hunt. « C’est l’album avec lequel j’ai compris ce que je peux faire avec la musique et l’écriture, en explorant plus la musique et en concentrant le texte vers une image. C’est aussi ma première vraie expérience en studio, où j’ai pu passer du temps pour essayer des affaires. [Cet album] est important dans ma vie. »

Fort de ses années de métier, il se dit « moins nerveux » qu’il a déjà pu l’être à la veille de la sortie de ses deux nouveaux albums.

« C’est comme être sur son lit de mort, à la veille de savoir ce qui va se passer [rires]. C’est particulier. On a une idée, mais au final, c’est le monde qui va décider. »