Cinq ans après le puissant The Ballad of the Runaway Girl, Elisapie propose Inuktitut, album de reprises, dans sa langue maternelle, de chansons rock qui ont meublé sa jeunesse. Un projet plus léger en apparence, mais qui a pris une importance capitale pour l’artiste inuk, et qui attire l’attention à l’international.

Elisapie est bien consciente que la direction de ce nouvel album risque de causer la surprise. Elle-même n’aurait jamais pensé qu’interpréter des pièces de Metallica, Cyndi Lauper, Pink Floyd ou Fleetwood Mac la ferait plonger aussi profondément en elle.

« Je ne m’attendais pas à ce qu’un album de covers devienne si significatif, confie-t-elle. Mais finalement c’est très, très personnel. Je n’ai jamais été aussi interpellée. »

Ce qui se dessinait comme un « petit projet on the side » est donc devenu grand par la force des choses. C’est que l’autrice-compositrice-interprète s’est rendu compte que chaque fois qu’elle parlait d’une chanson à son complice, le guitariste Joe Grass, qui a réalisé l’album, elle était « sur le bord de brailler ». « Je lui disais : “Je sais pas ce qui se passe, je vis des choses…” »

La cause de cette émotion irrépressible ? Toutes ces chansons lui rappellent sa jeunesse « dans le Nord » à Salluit : un état d’esprit, une personne qui a compté, une douleur lancinante, un moment d’abandon dans la fête. La jeune fille hypersensible qu’elle était a tout capté de la peine liée à la perte des repères, aux suicides, aux traumatismes des générations précédentes, et c’est cela qui remonte lorsqu’elle entend I Want to Break Free, Going to California ou Wish You Were Here.

Elisapie a d’ailleurs écrit de courts textes pour expliquer ce que chaque chanson lui rappelle précisément, et surtout qui.

J’étais sur mes gardes, je me demandais si je pouvais vraiment raconter ces histoires qui ne sont pas à moi. Mais je n’avais pas le choix. Il fallait aller jusqu’au bout.

Elisapie

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Pour Wild Horses, elle évoque par exemple un ami qui écoutait la pièce des Stones pour oublier la maltraitance qu’il avait vécue enfant. Elisapie conclut dans son texte que « la musique a ce don incroyable de réconcilier l’obscurité et la lumière », une phrase qui pourrait résumer l’album au complet.

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« Oui, je pense que j’ai réussi à aller dans ces deux pôles. » Joe Grass a eu l’intelligence de la suivre dans cette émotion et, surtout, de la capter sans la surjouer. L’interprétation d’Elisapie est émouvante de douceur et de sobriété, sa voix mise très en avant dans un enrobage qui respecte l’essence des pièces originales, avec juste assez de distorsion pour évoquer le domaine du souvenir.

« Ce projet, il fallait le garder humble, le plus simple possible. Joe me disait que c’est là que ça marche, quand je n’essaie pas de réinterpréter, quand je suis le plus moi-même. »

Rayonnement

Une fois la décision prise de consacrer temps et énergie à faire un vrai album, il a fallu obtenir les droits pour tous ces immenses classiques. Une personne a été engagée pour présenter les demandes auprès des éditeurs, une tâche de longue haleine.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Elisapie

« Elle nous a dit : “Donnez-moi un an.” » Metallica, Queen, les Rolling Stones et Fleetwood Mac ont rapidement donné leur accord. « Quand on a vu ça, on a dit : ok c’est bon ! » Y a-t-il eu des refus ? « Oui, Abba. C’est dommage, on avait une version complètement pétée de Chiquitita. Ma fille ne les écoute plus à cause de ça ! » Mais presque toutes les demandes ont fini par fonctionner, même in extremis avec les duos plus compliqués, Robert Plant et Jimmy Page de Led Zeppelin, et Roger Waters et David Gilmour de Pink Floyd.

Elisapie ne sait pas ce qui a intéressé les artistes dans son « petit projet de rien » par rapport à l’ampleur de leur œuvre. « Peut-être qu’ils ont vu que c’était en langue autochtone et qu’ils ont trouvé ça spécial. Mon rêve était que tous les artistes l’écoutent et m’écrivent ! »

Ce n’est pas arrivé, mais des extraits lancés depuis quelques mois ont eu pas mal de rayonnement. Debbie Harry de Blondie et le groupe Metallica ont partagé sur leurs réseaux sociaux ses émouvantes et lancinantes versions de Heart of Glass et The Unforgiven, dont le prestigieux magazine Rolling Stone a aussi fait écho.

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« On a trouvé quelqu’un pour passer l’album à Robert Plant lorsqu’il est venu en spectacle à Montréal cet été. Je ne sais pas s’il va l’écouter, mais bon… » Elle est en tout cas ravie de voir que des artistes reconnus se laissent encore toucher par d’autres artistes.

Je ne rends pas hommage juste à ma langue, je leur rends hommage aussi [aux artistes]. Je dis comment ils étaient des amis pour nous. C’est une déclaration d’amour.

Elisapie

Exorciser la tristesse

Elisapie raconte volontiers qu’elle a beaucoup pleuré pendant la fabrication de l’album. Maintenant qu’elle part en tournée, on espère qu’elle ne se mettra pas dans cet état à chaque spectacle. « Non, pas du tout ! Je l’ai présenté au FME en Abitibi, et honnêtement, c’est la joie. »

La chanteuse a aimé voir les gens danser et chanter, leur regard, leur sourire. « Il y avait aussi de l’émotivité, du monde qui pleurait parce que je raconte les histoires derrière les chansons. J’ai l’impression que c’est moi qui regarde un show en les voyant réagir ! Être leur miroir, c’était ça aussi le but. »

Au bout du processus, Elisapie ne sait pas si elle a exorcisé toute sa peine. « Une partie peut-être… mais peut-être qu’il y en a d’autres ? » Elle rit. « Je pense que j’ai réalisé que j’avais des trucs bien pognés dans mon corps. » Mais elle encourage aussi tout le monde à « ne pas bouder sa tristesse ».

C’est beau, être triste. C’est juste une émotion parmi d’autres et j’encourage les gens à aller dans les larmes. Juste après ça on peut rire, mais rire pour vrai. Ça va être chargé d’une autre façon.

Elisapie

La suite

Si l’album a de toute évidence un potentiel international, Elisapie ne sait pas quelle direction il prendra, vers la France, où elle a déjà un public fidèle, ou les États-Unis, qui commencent à la découvrir. « On ne sait pas comment les cartes vont se jouer. Mais on voit déjà qu’il fait réagir beaucoup les Nord-Américains. »

Outre la tournée qui s’amorce au Québec pour au moins un an, elle ira bientôt faire de la promo en France, puis « un intéressant showcase » aux États-Unis. Que voudrait-elle pour son album ?

« J’espère qu’il fera vivre des émotions. J’aimerais faire un beau gros festival aux States, c’est sûr. Mais je peux être impatiente dans la vie, alors j’essaie d’être sans attente, d’y aller étape par étape et d’avoir confiance. Juste de lui donner une âme, un esprit. Lui envoyer un peu de sorcellerie. »

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