La neuvième saison de 24, décrivant comment Jack Bauer sauve le monde d'une catastrophe nucléaire, a connu un début en fanfare en Chine, où les internautes raffolent des sériés télévisées américaines, mais visiblement pas les autorités communistes qui tentent désormais d'en restreindre l'accès.

«C'est une série vraiment fabuleuse, je l'ai regardée en entier», s'enthousiasme Niu Dajun, un étudiant de 23 ans, rencontré dans un cinéma de Pékin lors d'une nuit entière de projection d'épisodes de la saison précédente.

«Les séries américaines sont vraiment innovantes, alors que les séries chinoises sont encore très classiques», plaide-t-il. L'évènement était organisé par la plateforme vidéo Youku Tudou, qui diffuse 24 sur internet.

L'appétit pour les programmes télévisés étrangers a explosé ces dernières années, à mesure que les jeunes se détournaient des chaînes nationales au profit des sites internet de streaming.

Si ce nouveau secteur reste bien moins régulé que la télévision, les autorités de la censure ont récemment durci le ton et banni du web chinois quatre séries américaines, dont NCIS et le très populaire The Big Bang Theory - qui comptait plus de 1,3 milliard de vues au compteur sur le site Sohu.

Des experts ont cependant jugé cette interdiction moins motivée par des questions de contenu que par la volonté des autorités de simplement réaffirmer leur contrôle.

Sherlock est-il gai?

Le succès des séries occidentales auprès du grand public a débuté il y a une décennie, quand des DVD piratés ont fait découvrir au pays des programmes devenus cultes tels Friends ou Sex and the City.

Désormais, des sites de streaming comme Youku, Sohu ou QQ Video (groupe Tencent) proposent aux 618 millions d'internautes chinois une myriade de séries américaines sous-titrées, accessibles légalement - et gratuitement, en contrepartie de multiples spots publicitaires.

La série dramatique House of Cards y a fait un carton. Ses intrigues politiques - où intervenait un magnat des affaires chinois corrompu - ont fait l'objet de unes de magazines, et ont même captivé de hauts cadres du régime: Wang Qishan, membre du tout-puissant comité permanent du Bureau politique du Parti communiste, a assuré en avoir suivi assidûment tous les épisodes.

Très regardé aussi, le Sherlock de la BBC s'est accompagné d'intenses discussions sur les réseaux sociaux où les fans spéculaient sur une possible attirance homosexuelle entre le célèbre détective et son inséparable compagnon, le docteur Watson.

Et quand le Premier ministre britannique David Cameron, en visite l'an dernier à Pékin, a donné l'occasion aux internautes chinois de lui poser des questions... c'est sur la date de lancement de la nouvelle saison de Sherlock qu'ils l'ont interrogé.

Mais, rançon du succès, «nous sommes arrivés cette année à un niveau de popularité tel que les régulateurs commencent immanquablement à examiner ces séries de plus près», souligne Jeremy Goldkorn, fondateur de Danwei, firme basée à Pékin et spécialisée sur l'internet chinois.

«On a l'impression que ce n'est que le début. Et les prochaines étapes risquent de ne pas être exactement libérales», a-t-il ironisé.

Des intérêts commerciaux pourraient également être en jeu: plusieurs médias ont ainsi assuré que CCTV, la télévision centrale d'État, avait l'intention de diffuser une version «apurée» de The Big Bang Theory et souhaiterait voir disparaître toute concurrence sur internet.

«Censure compulsive»

Si les séries occidentales séduisent autant, c'est qu'elles s'aventurent sur des terrains strictement interdits aux programmes locaux, explique Ying Zhu, experte des médias chinois basée à New York.

De fait, sans que jamais les autorités n'aient détaillé explicitement les thèmes censurés à la télévision, les séries chinoises se cantonnent à des romances sirupeuses, des vaudevilles familiaux et des histoires de guerre caricaturales et indigentes. Les drames politiques contemporains, les personnages de cadres corrompus ou les contenus jugés «malsains» sont absents des écrans.

«Presque toutes les séries chinoises ont les mêmes intrigues insipides», se désole Cheng Lu, une jeune Pékinoise passionnée de télé américaine.

Pour Mme Zhu, «sous la férule d'une censure compulsive, l'industrie chinoise du divertissement n'a pas la liberté d'utiliser les meilleurs matériaux qu'elle a à disposition».

À l'inverse, les séries occidentales qui obtiennent de francs succès en Chine possèdent une narration soignée et se nourrissent «des contradictions et discordes dans la société, ce qui fournit véritablement les meilleurs éléments dramatiques», abonde M. Goldkorn.