«Le message, c'est le médium», se plaisait à dire Marshall McLuhan. Et c'est ce qu'on apprend aux étudiants en communication depuis la nuit des temps. Or Tim Rosenstiel croit que McLuhan avait tort. Directeur de l'American Press Institute et auteur de plusieurs ouvrages sur le journalisme, Rosenstiel croit plutôt qu'en journalisme, c'est l'histoire qui est le message et que c'est donc l'histoire, ou le sujet, qui détermine le média qu'il faut utiliser pour les raconter.

Tim Rosenstiel était l'un des conférenciers invités mardi dernier par HEC dans le cadre d'un symposium sur les modèles financiers de la presse écrite.

De l'avis de ce spécialiste, la presse écrite doit complètement changer sa perspective si elle veut conserver son lectorat.

Pendant des années, a-t-il expliqué, les lecteurs se sont adaptés aux médias. Ils attendaient le soir pour regarder le bulletin de fin de journée et ils attendaient le matin pour lire le journal. Aujourd'hui, la situation est inversée, estime Rosenstiel. Les gens ont accès aux nouvelles en tout temps: dans leur lit, au boulot, en auto, jusque dans la salle de bains... C'est désormais au tour des médias de s'adapter à leurs besoins et à leurs demandes.

Selon lui, la presse écrite pourrait régler une partie de ses problèmes financiers si elle était davantage à l'écoute de ses lecteurs. Il faut que les journaux sachent mieux analyser les données qui sont à leur portée.

Le spécialiste des médias a donné deux exemples pour mieux illustrer son propos: le premier, celui du New York Times, qui scrute les comportements de ses lecteurs sur son site web et qui travaille constamment pour adapter et faire évoluer son produit. Il sonde les lecteurs qui consultent son site, il a embauché un analyste de données qui travaille de près avec la direction du journal, bref, il cherche tous les moyens d'offrir une valeur ajoutée à son «produit».

L'autre exemple à imiter, selon Rosenstiel, c'est Amazon. Ceux qui achètent souvent des livres sur ce site le savent, les consultations et les achats récents sont surveillés de près et les offres de livres et de rabais bombardent boîtes de courriels et pages Facebook. Il y a des leçons à tirer de cette approche, selon Rosenstiel, qui croit que les médias doivent se pencher sur la qualité de leurs contenus, certes, mais également sur leur pertinence.

Distinction entre plateforme et source

Une autre idée qui revient souvent dans les conférences de Tim Rosenstiel, c'est qu'il ne faut pas confondre plateforme et source. Par exemple, on répète sans cesse que les jeunes lisent davantage sur des appareils mobiles. Oui, d'accord, mais cela ne nous dit pas ce qu'ils lisent. Voilà ce qu'il faut savoir. On dit aussi que les réseaux sociaux sont de plus en plus populaires et qu'ils sont devenus pour plusieurs une source d'information. Oui, mais sans les entreprises de presse, que lirait-on sur Twitter? Les deux - médias et Twitter - sont interdépendants, observe Rosenstiel.

Dans une conférence qu'il a prononcée en 2013 au Reynolds Journalism Institute, Rosenstiel citait une étude réalisée par le New York Times qui disait que 50 % des gens entendent parler d'une nouvelle pour la première fois par l'entremise d'une source télé. La même étude affirmait qu'une fois au fait de cette nouvelle, huit personnes sur 10 allaient continuer à s'informer, mais dans d'autres sources. Enfin, l'étude observait que les consommateurs de nouvelles étaient d'une grande loyauté pour leur journal, peu importe la plateforme. En d'autres mots, si vous aimez le New York Times, vous allez le consulter sur toutes les plateformes.

Le propos de Tim Rosenstiel est assez clair: les lecteurs de la presse quotidienne sont (presque) des consommateurs comme les autres, et il faudrait commencer à les traiter comme tels en s'intéressant davantage à ce qu'ils aiment et à ce qu'ils recherchent dans un média. Certaines entreprises de presse le font timidement. Sont-elles prêtes à passer à la vitesse supérieure? Et seront-elles capables de le faire sans perdre leur âme?

Narcissisme 3.0

C'est la photo qui a le plus fait jaser cette semaine, et pas seulement parce qu'on ne voit pas le reflet de Kanye West dans le miroir. Il s'agit d'une mise en abyme narcissique qui illustre à elle seule l'égocentrisme de notre époque. Kim Kardashian a habitué ses fans à ses nombreux égoportraits, mais cette fois-ci, on atteint un autre niveau. Suggestion aux professeurs de communication: exiger de leurs étudiants une dissertation de 900 mots sur cette image et ce qu'elle dit de notre époque.

Cours de lunettes

Dès l'automne prochain, l'école de journalisme Annenberg de la University of Southern California offrira un cours intitulé «Glass journalism» (ou journalisme pour... lunettes). Dans ce cours, les étudiants doivent développer des applications pour aider les reporters à réaliser des reportages avec les fameuses lunettes de Google. Tim Pool, journaliste à Vice, a déjà couvert des manifestations un peu partout sur la planète équipé de Google Glass.