La chroniqueuse, journaliste et autrice Claudia Larochelle revient ces jours-ci sur trois époques « fondatrices » de sa vie, pré #metoo, dans trois récits aussi torturés que sentis, bouleversants de vulnérabilité, mais pas non plus dépourvus d’« éclaircies ».

Si elle brouille volontairement les cartes entre réalité et fiction, sa plume écorchée en dit tout de même très long sur une époque pas si lointaine, que bien des lecteurs reconnaîtront.

Il faut savoir que l’autrice du recueil de nouvelles Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps a failli annuler le lancement de ses Disgracieuses, mardi soir. Rencontrée quelques heures avant l’évènement, elle était visiblement secouée par la nouvelle de la disparition de Caroline Dawson. « Chaque perte d’étoile filante vient me ramasser… »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

La journaliste, auteure, autrice, animatrice Claudia Larochelle.

Claudia Larochelle nous raconte, la voix cassée, avoir écrit à l’autrice la semaine dernière, tout juste après son passage à l’émission Il restera toujours la culture, sur les ondes de Radio-Canada. « Tes propos vont faire de moi une meilleure humaine », disait-elle à Caroline Dawson. Curieusement, cela vaut aussi pour plusieurs épreuves, rencontrées et racontées ici, lesquelles ont à la fois « cassé », mais aussi « formé » sa narratrice.

De ses années d’anxiété dans une école secondaire privée de sœurs (où elle a compris l’importance des amitiés féminines, la sororité s’imposant comme fil conducteur du récit), à ses relations amoureuses toxiques, en passant par un certain milieu de travail journalistique assez nocif merci, elle en a bavé. « Ça a cultivé ma méfiance, et ça m’a aussi humanisée. Ça m’a sensibilisée à une certaine fragilité, et à l’importance de respecter les autres… », laisse-t-elle tomber.

Le pouvoir de la fiction

On ne sait pas exactement si Claudia Larochelle parle ici d’elle ou de son alter ego, et c’est évidemment voulu. Parce que les deux s’entrecroisent au fil des pages de ses Disgracieuses, et ne font souvent qu’un. Mais pas tout le temps, évidemment.

Précision : il faut savoir que ce récit est publié ici dans la collection III, de Québec Amérique, qui revient sur trois moments marquants de la vie de différents auteurs choisis (on a eu droit à Marc Séguin, Lorraine Pintal, Catherine Mavrikakis, etc.), tout en précisant ceci : « Peut-être s’y glisse-t-il une part d’invention. Peut-être pas. »

En conclusion, Claudia Larochelle en rajoute : « L’intérêt de ce projet ne réside pas dans la quête de vérité, plus dans la volonté de mettre en lumière une époque précise, au seuil de grands bouleversements, alors que tout était sur le point d’exploser. »

Quelque part au tournant du nouveau millénaire, comprend-on, avant la vague de dénonciations entourant #metoo, et la petite révolution dans les relations hommes-femmes qui a suivi.

N’empêche. Bien sûr qu’on sera tentés de deviner qui étaient ces patrons et autres « mononcles » de service toxiques, aux comportements si déplacés, dans une salle de rédaction où régnait un « sexisme ordinaire » qui a failli la tuer. « On m’a dit que les salauds étaient partis à la retraite que les salauds plus jeunes se la fermaient depuis ce salvateur #metoo », écrit-elle. Assurément, on demandera le nom de cet amant politicien qui l’a tant fait souffrir – prise, jetée, reprise, rejetée –, comme elle l’écrit de sa plume si aiguisée, déchirante de vulnérabilité. « La fiction va toujours me sauver, répondra habilement la principale intéressée. C’est le plus grand carré de sable, qui donne la plus grande liberté. »

Claudia Larochelle se réfugie donc dans ce « flou artistique » autofictif et ne s’en cache pas. Elle précise ne pas vouloir dénoncer qui que ce soit (« ce n’est pas le but »), mais plutôt témoigner d’une époque entre-deux, dont on n’a selon elle pas assez parlé. « Je veux laisser une trace de ce que je portais de mes prédécesseurs qui ont galéré, dit-elle, et de ce que je voyais comme éclaircies. Je veux témoigner de ça pour ma fille. »

La vie nous arme

Une telle prise de parole prend tout de même du courage, lui fait-on remarquer. Elle parle quant à elle plutôt d’une « pulsion ». « Je n’aurais jamais fait ça avant : là », opine-t-elle.

Je n’aurais jamais fait ça il y a cinq ans. Je n’étais pas assez solide, mais maintenant, je n’ai rien à perdre. Comme si la prise de parole était plus importante que ce qu’on va en penser.

Claudia Larochelle

C’est qu’elle a maintenant 46 ans (« je n’aurais pas fait ça à 26 ! »), gagné en vécu, et la maternité l’a en outre transformée, ajoute l’autrice de la série pour les tout-petits La doudou. « Ça solidifie. Jusqu’à un certain degré, ça sauve la vie… »

Entre autres élans de vulnérabilité, Claudia Larochelle rajoute : « Je suis moins fragile. Je suis toujours aussi sensible, je traîne encore mes névroses, mes obsessions, on ne change pas tant que ça, mais on fait avec. La vie nous arme… », glisse-t-elle.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

La chroniqueuse, animatrice et autrice Claudia Larochelle

Et puis il y a eu ces fameuses « éclaircies », on l’a dit : ici et là de très belles personnes, notamment celles qu’elle nomme ses « veilleuses », de grandes amitiés et de précieuses alliées, qu’elle saupoudre ici ou là dans le récit. Des hommes bons, aussi, qu’elle a appris à reconnaître et à aimer (notamment le père de ses enfants, ainsi que son compagnon actuel). Sans parler de quantité d’autrices, que Claudia Larochelle cite abondamment dans le texte, de sa grande amie Nelly Arcan à Marguerite Duras, en passant par Annie Ernaux et Virginie Despentes.

Des femmes dont la plume l’aide à la réconcilier avec son passé, à mettre des mots, un baume, sur son vécu. Elle les appelle joliment ses « consolantes ». Et à son tour, conclut-elle, « j’ose espérer, bien humblement, que mes paroles seront consolantes… »

Les Disgracieuses

Les Disgracieuses

Québec Amérique, Collection III

127 pages