Le passage du rappeur new-yorkais Action Bronson, à Osheaga, sème la controverse. À quelques jours de son concert au parc Jean-Drapeau, certaines de ses chansons sont dénoncées pour leur misogynie, notamment par le maire de Montréal, Denis Coderre, qui se demandait hier si sa présence au festival était souhaitable.

Ce n'est pas la première fois que Bronson suscite la controverse au Canada. Au printemps dernier, les organisateurs du festival North by Northeast, à Toronto, ont annulé sa prestation à un concert gratuit au centre-ville après qu'une pétition dénonçant sa présence signée par près de 40 000 personnes avait fait les manchettes.

À l'époque, les pétitionnaires dénonçaient deux chansons, Consensual Rape et Brunch, enregistrées il y a environ quatre ans. Dans la première, le rappeur raconte l'histoire d'un homme qui a fait absorber de la drogue à une femme pour ensuite avoir des relations sexuelles violentes avec elle. À l'époque, certains amateurs de rap avaient répondu que les paroles n'étaient pas aussi claires et qu'elles pouvaient être interprétées de différentes façons.

Or, c'est le vidéoclip de la deuxième chanson, Brunch, qui a fait réagir le maire Coderre et d'autres intervenants à Montréal. Dans la vidéo, on voit le chanteur jouer le personnage d'un homme qui mange son déjeuner sur le corps d'une femme morte, pour ensuite l'enrouler dans un tapis et la placer dans le coffre de sa voiture. Lorsqu'il remarque que sa victime est toujours vivante, il sort de son véhicule, la poignarde et lui lance des propos sexuels dégradants en crachant sur son cadavre.

«Je me demande comment on peut permettre ce genre de vidéo, qui a quand même été visionnée par 2,8 millions de personnes sur internet. Où s'arrête la liberté d'expression? Quel message envoie-t-on? La façon dont c'est fait est dégradante et inacceptable», a vivement dénoncé Denis Coderre, en entrevue avec La Presse.

Le maire de Montréal refuse toutefois de s'ingérer dans les choix d'Osheaga, car «ce n'est pas à [lui] d'évaluer le contenu artistique» d'un festival payant, dit-il. En fin d'après-midi, hier, il a tout de même interpellé la direction d'evenko, qui est responsable du festival, pour qu'on «évalue» à nouveau la situation.

evenko ne «censure pas l'art»

Caroline Audet est gestionnaire des relations de presse pour Osheaga. Interrogée par La Presse, elle a affirmé que le festival de musique et evenko partageaient «des valeurs d'égalité et de respect», mais elle a surtout précisé qu'ils ne censuraient pas les artistes pour «leurs propos artistiques».

«Il y a quelques semaines, nous avons annulé le concert de Ten Walls, qui avait tenu des propos homophobes sur Facebook. Concernant Action Bronson, nous sommes à l'écoute de la situation, mais comme je l'ai dit, nous ne jugeons pas les oeuvres artistiques. On parle ici d'une oeuvre artistique et non d'un propos personnel, ce qui était le cas de Walls», a-t-elle expliqué.

Au printemps dernier, lors de la controverse à Toronto, Action Bronson avait écrit sur son compte Twitter qu'il trouvait «drôle que la chanson qui cause tant de problèmes aux Torontois n'ait jamais été jouée sur scène».

«Une chanson enregistrée il y a cinq ans. C'est là-dessus que vous fondez votre argument? Que dire des neuf autres projets que j'ai réalisés depuis?», avait-il aussi écrit.

Le Conseil du statut de la femme en colère

Selon Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme, evenko doit annuler le concert du rappeur puisque ses propos ne relèvent pas de la liberté d'expression, mais bien d'une incitation à la haine envers les femmes.

«C'est révoltant, répugnant et décourageant de voir qu'en 2015, on est encore confronté à ce genre de discours violent. Pour moi, il ne s'agit plus de liberté d'expression. La limite est dépassée de façon absolue et sans contredit dans le vidéoclip de la chanson Brunch», a-t-elle dit à La Presse après avoir visionné ledit vidéoclip.

«Je ne comprends pas pourquoi [evenko] n'a pas suivi la controverse à Toronto. C'est dans le même pays, après tout. S'ils ne se sont pas renseignés, c'est un problème, et s'ils le savaient et l'ont invité quand même, c'est encore pire», a-t-elle ajouté, espérant qu'une pétition sera aussi lancée à Montréal.

Ce n'est pas la première fois que des chansons de rappeurs et de chanteurs hip-hop sont critiquées et qualifiées de misogynes. D'autres artistes, certains très connus, comme Eminem, ont déjà semé la controverse par le passé. Lors du passage d'Action Bronson à Toronto, au printemps dernier, le magazine américain The Atlantic avait publié une analyse de la situation. Dans sa chronique, le journaliste notait au passage que d'autres styles musicaux, dont le rock, n'étaient pas non plus tendres envers les femmes. «Le rock est rempli de propos violents, racistes et dégradants envers les femmes, mais personne ne manifeste à la sortie d'un concert des Rolling Stones», avait-il écrit. Or, «que le sexisme persiste toujours démontre à quel point il imprègne tant le rap que la société en général», avait-il poursuivi.