En sortant du Théâtre Maisonneuve hier soir, ils étaient nombreux à se demander à la blague comment ils seraient, eux, à 90 ans. Ces spectateurs tout souriants avaient été pendant 75 minutes sous le charme d'un quasi-nonagénaire bien en vie, le Belge Toots Thielemans.

La partie n'était pas gagnée d'avance. Le vieux monsieur ne peut plus jouer de la guitare, ce qu'il faisait fort bien jadis en digne émule de Django. Il ne peut plus non plus siffler son immortelle Bluesette, qu'il est revenu, contre toute attente, nous jouer à l'harmonica en guise de deuxième et dernier rappel.

Les modestes notes qu'il m'avait jouées au téléphone puis en personne la veille me laissaient entrevoir un concert sympa, sans plus. Et quand je l'ai vu s'amener sur scène d'un pas hésitant au bras du pianiste Kenny Werner, je n'étais pas plus rassuré.

J'avais tout faux. Le Toots Thielemans qu'on a ovationné hier soir a non seulement toute sa tête - et une bouille extraordinaire -, mais il a encore un souffle étonnant qui, jumelé à son imagination foisonnante, fait toujours de lui un véritable jazzman.

Assis sur son tabouret, il s'est lancé dans un dialogue continuel avec Werner, relançant et taquinant à la fois son complice de longue date. Même si le répertoire ne nous était pas inconnu, il était rendu avec une telle vivacité qu'il s'en trouvait régénéré. Le petit harmoniciste était beau à voir quand il s'envolait avec son instrument en balançant les jambes dans le vide!

Il nous a joué du Gershwin (I Love You Porgy, Summertime), du Chaplin (Smile), du Kosma (magnifiques Feuilles mortes) et, bien entendu, les émouvantes Ne me quitte pas de son compatriote Brel et What a Wonderful World de «maestro Armstrong», qu'il côtoyait dans le Chicago des années 50. Mais il a également donné dans du Miles Davis, qu'il n'arrivait pas à lire sur sa petite liste de chansons mais qu'il a reconnu dès que Werner en a joué quelques mesures. Il a également emprunté à Ivan Lins sa Começar de Novo qui, nous a-t-il expliqué, était en quelque sorte la Ne me quitte pas brésilienne. Et en plus de sa Bluesette, il nous a joué la tendre For My Lady, composée pour sa Huguette.

Après une heure et quart de pareils moments de grâce entrecoupés d'éclats de rire, que pouvait-on demander de plus?