Lorsque j'ai absorbé le contenu de Someday My Prince Will Come, deuxième album du pianiste Thomas Enhco qu'il a enregistré alors qu'il était sur le point d'atteindre la vingtaine et qui lui valu en France le Django d'or du Nouveau Talent 2010, je me suis dit... bof, voilà un autre virtuose en route pour épater la galerie.

Des musiciens de talent ayant commencé le violon et le piano en très bas âge, le monde classique et la planète jazz en comptent de plus en plus. Pas des milliers dites-vous? Bien sûr que non. Néanmoins, des douzaines et des douzaines de musiciens de cette génération atteignent et atteindront ce niveau. Et après? Il faut faire de la musique. Il faut transcender l'éducation supérieure, dépasser ses influences, s'approprier la tradition, en faire autre chose. Et, surtout, toucher le coeur des gens. Bien au-delà de l'exhibition de la technique et la maîtrise de All The Things You Are...qu'on a pu entendre samedi à L'Astral.

Thomas Enhco est issu d'une grande famille de musiciens. Le jeune Parisien a eu la chance de grandir dans les deux univers, celui de la musique classique et du jazz. Il a fait de brillantes études tout en se forgeant sur les scènes françaises la réputation d'un ado prodigieux. Le virtuose aura 23 ans en septembre, il me semble avoir parfaitement saisi les tenants et aboutissants de la culture jazzistique. Il n'en demeure pas moins en quête d'un style, d'une avenue. Alors? Pour lui avoir parlé, l'avoir ensuite vu jouer samedi et avoir observé les réactions enthousiastes du public venu à sa découverte, j'ai le sentiment que ce garçon a de fortes chances d'y parvenir.

Visiblement, il la détermination, le calme, l'assurance et la pensée des très bons musiciens. On sent qu'il en veut, on sent qu'il a faim de communiquer son art, on devine chez lui cette ambition de faire quelque chose de fort. Et, le plus important de l'affaire, on ressent des choses lorsqu'il joue, au delà de la précision de sa main droite, du soutien plus qu'acceptable de sa main gauche, au-delà de l'articulation remarquable des phrases en haute vitesse, au-delà de la souplesse, au-delà des riffs qu'il arrive à plaquer avec un sens inéluctable du rythme. Qui plus est, on dénote chez lui cette délicatesse apprise du romantisme classique... et l'on s'étonne qu'il puisse aussi jouer si bien le violon, son deuxième instrument - en fin de prestation.

Non, Thomas Enhco ne s'est pas encore dégagé d'un certain conformisme classico-jazz, il n'a pas encore éclipsé tout académisme dans son approche, mais il joue avec une telle intensité qu'il est permis de croire à l'émergence d'un style de plus en plus affirmé. Déjà, la personnalité de son trio laisse présager une singularité plus grande dans un avenir proche. Le jeune batteur belge Nicolas Charlier s'inspire de batteurs new-yorkais très originaux (Matt Wilson ou Ari Hoenig viennent à l'esprit) pendant que le contrebassiste canadien Chris Jennings assure très solidement.

D'après mes calculs (...), la facture Thomas Enhco ne saurait tarder!