Sophie Hunger fait d'abord parler d'elle pour ses performances en chair et en os. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle se produit à L'Astral deux soirs d'affilée: à l'occasion d'une représentation européenne, la direction artistique du festival montréalais est tombée sous le charme. On annonce la venue d'un être singulier, qui donne des spectacles hors du commun.

Cette femme de 27 ans a trois albums à son actif, dont le récent 1983 - l'année de sa naissance. «C'est très différent sur scène, annonce-t-elle. Un tromboniste y modifie son timbre dans un amplificateur de basse. Extra! Le batteur soigne aussi le son de son instrument, c'en est presque mélodique. Il y a un bassiste. Il y a aussi un multi-instrumentiste de haut niveau, qui se spécialise dans les flûtes baroques. Je joue de la guitare, du piano et de l'harmonica. Nous chantons tous. Très diversifié. Très dynamique.»

Au fait, pourquoi ne pas avoir enregistré ce son qu'on dit si singulier alors que l'album 1983 est de facture indie, pour ne pas dire plus conventionnel que le spectacle?

«Parce que je voulais apprendre à enregistrer moi-même mes chansons. Je voulais apprendre le métier de réalisatrice. La plupart du temps, j'étais seule dans un studio de Paris. Ça a été très dur pour moi. Ce ne fut pas une partie de plaisir! Pendant ces trois semaines, j'ai songé plusieurs fois à abandonner le projet.»

Avec cette Suissesse native de Berne et résidante de Zurich, la conversation téléphonique s'est amorcée à Paris. En français, avant qu'elle ne décide de poursuivre en anglais. On se serait cru à Montréal!

«Je suis germanophone, indique-t-elle, mais j'ai grandi en Angleterre et en Allemagne. J'aime bien les langues, je peux vite imiter les sons. Et pourquoi chanter surtout en anglais? Pas facile de fournir une explication claire... Je ne décide jamais du langage lorsque je choisis une chanson. Ça sort de ma bouche et ça sort surtout en anglais. Je ne peux l'expliquer davantage.

«Je ressens les choses ainsi, c'est tout ce que je peux dire. L'anglais, il faut dire, a été ma première langue, j'ai commencé l'école en Angleterre. J'ai d'abord appris à lire et à écrire en anglais. En allemand, je chante en allemand classique, mais aussi dans les différents dialectes et accents suisses-allemands. Je chante aussi en français. J'ai donc grandi dans un monde transculturel. Vous savez, je viens de lire un texte sur le multilinguisme où l'on observe que la moitié de la population mondiale parle au moins deux langues.»

Le poids de la grande culture

Sophie Hunger a grandi dans un monde transculturel, mais aussi dans la ouate.

«Mon père est diplomate. J'ai beaucoup voyagé avec mes parents. Mon père a été en poste en Iran, il l'est actuellement en Inde. C'est vrai, je viens d'une famille cultivée. On m'a fait découvrir la musique de Charlie Parker et de Thelonious Monk. On m'a fait écouter de la musique classique et de l'opéra...

«Longtemps, d'ailleurs, j'ai eu l'impression qu'il m'était impossible de rivaliser de quelque manière avec cette vision élitiste de l'art. J'en étais complètement intimidée. J'ai attendu que mon père s'absente longtemps de la maison familiale pour vraiment y chanter, y jouer du piano. Je ne le montrais à personne. Ainsi, j'ai dû mettre 22 ans pour conquérir cette liberté.»

Sophie Hunger se rappelle avoir été «complètement perdue» à la fin de ses études secondaires.

«Je ne savais plus que faire. J'étais devenue serveuse... Et j'ai essayé de comprendre le chaos (rires). Puis j'ai commencé à chanter en suisse-allemand, parce que je sentais beaucoup moins de pression en faisant les choses ainsi. Parce que personne n'aurait d'opinion sur mon travail. Parce que je pouvais décider moi-même des sons et de l'esthétique. Ainsi, en partant de rien, ça m'a donné beaucoup de liberté.»

Lancé récemment, 1983 est son troisième album. Monday's Ghost a été créé en 2008, Sketches on Sea en 2006.

«Tout s'est passé très rapidement. J'ai commencé il y a moins de quatre ans. Et je savais à peine jouer de la guitare ou du piano! J'ai débuté en créant des choses toutes simples qui m'ont poussée immédiatement vers la tradition folk. Je me suis ensuite mise à créer des musiques plus complexes, à utiliser l'électronique par exemple. Une suite d'explosions!»

Chose certaine, l'urgence qu'exprime Sophie Hunger ne passe pas inaperçue. Vraiment pas. «J'essaie de ne pas trop de m'analyser. Je dirais quand même qu'avec 1983, j'ai cherché à établir un contact plus direct. Je cherchais un terrain commun.»

Et ce terrain risque fort de s'étendre de ce côté de la flaque.

Sophie Hunger chante ce soir et demain, 21h, à L'Astral.