Franchement, je m'attendais à beaucoup plus pour ce troisième et dernier concert du volet Robert Glasper que prévoyait samedi la série Invitation. Au lieu d'une rencontre visionnaire entre jazz nouveau de culture noire et musique urban, terme générique qui désigne l'ensemble de la pop black, j'ai eu l'impression d'assister à une répétition.

Entre 18h et 19h25 (je devais quitter pour Keith Jarrett), Bilal n'a chanté que deux fois au Gesù. On me dit qu'il s'est présenté une couple de fois supplémentaires... Quant à la soul jazzy de Robert Glasper, ce vers quoi il tend actuellement, elle n'apporte pas grand-chose à ce qui s'est créé... dans les années 70 ! Pour l'instant, du moins. Sauf un solo très intéressant de l'invité Casey Benjamin, c'est-à-dire lorsque son sax alto passait par des filtres électroniques, je n'ai l'impression d'entendre que du réchauffé d'une lointaine époque. Au début des années 70, j'avais les oreilles bien ouverte lors de la sortie de l'album sans titre de Head Hunters, soit le vaisseau jazz funk d'Herbie Hancock. Ce fut pour moi une révélation. Lorsque l'album Thrust, deuxième chapitre, fut lancé, j'avais adoré la soul instrumentale, notamment la ballade Butterfly que reprend Glasper avec quelques modifications. Puis les choses se sont diluées progressivement; les albums Man-Child et Secrets avaient pressé le citron. Alors ? J'ai la nette impression que Robert Glasper en surévalue l'importance historique. Chose certaine, il n'arrive pas à se dégager de cette influence hancockienne, encore moins transgresser cette soul des années 70 alors jazzifiée par son modèle.

En ce qui me concerne, le pianiste (et joueur de Fender Rhodes pour l'occasion) abuse de sirop harmonique, ces réductions rythmiques, cette binarité insistante, cette grandiloquence.

Bilal, maintenant. On le dit parmi les grands rénovateurs du chant noir américain. Ce que j'ai entendu ne m'a vraiment pas convaincu. Il prend des risques, certes, mais il peut s'égarer au point d'en perdre parfois la justesse. Et, surtout, s'enliser dans une surcharge d'effets, laissant une impression d'ostentation. C'était patent dans In A Sentimental Mood (standard de Duke Ellington) comme ça l'est dans la suivante, All Matter tirée de l'album Double Booked, le plus récent de Glasper. Hmm... vraiment maniéré. Loin de moi l'idée de vouloir dénigrer Bilal que je considère comme un artiste vraiment talentueux, je crois néanmoins qu'il a intérêt à beurrer moins épais lorsqu'il fait dans la choses jazzistique. Il finira bien par piger...

Quant à Robert Glasper, j'aurai raté le meilleur de ses trois concerts, c'est-à-dire le premier en trio - si je m'en tiens à ce qu'on m'en a dit. Le second avec Terence Blanchard a été bien, mais pas assez préparé pour que l'on puisse conclure à une grande soirée. Le troisième fut carrément décevant. Décevant pour son plan de match mal ficelé, pour son manque de direction.

Ça augure mal pour le prochain album de ce pianiste d'exception, qui prévoit faire dans l'électro-jazz-soul. Laissons quand même la chance au coureur...