Le trompettiste montréalais Ron di Lauro a offert mercredi soir une des belles prestations de sa carrière de soliste, dans le concert Porgy and Bess - As Performed by Miles Davis, donné au Théâtre Jean-Duceppe de Place des arts.

L'ensemble de 18 musiciens montréalais - de haute tenue - était dirigé par Joe Muccioli, musicologue américain qui, à partir des notes de Gil Evans, a «reconstruit» cette célèbre suite du répertoire américain composée par George Gershwin. À l'origine, Porgy and Bess a été conçu comme un «folk opera» - livret: DuBose Heyward; paroles: Heyward et Ira Gershwin; l'opéra a été créé en 1935 à New York avec une distribution constituée entièrement d'Afro-Américains, un choix audacieux pour l'époque.

Gil Evans (1912-1988), pianiste, compositeur et arrangeur d'origine torontoise - il a joué au FIJM un an avant sa mort -, a longtemps travaillé avec Miles Davis; trois disques sont sortis de cette collaboration à la fin de années 50: Miles Ahead (avec George Benson à la guitare, en 1957), Porgy and Bess (1958) et Sketches of Spain, le summum de ce duo. Joe Muccioli a «reconstruit» les trois oeuvres et détient l'exclusivité de l'usage de ces arrangements.

Mercredi, Porgy and Bess a été joué en version acoustique, «sans amplification, comme elle devrait toujours l'être», a dit Maestro Macccioli. Il y avait quand même de petits micros, parce qu'Espace Musique a enregistré le concert, livré sans interruption - c'est une suite - sauf pour les applaudissements, nombreux entre les mouvements.

Ron di Lauro, tout en nuances et en retenue, a utilisé la même instrumentation que Miles Davis, jouant tantôt de la trompette, tantôt du bugle (flugelhorn), de même registre mais à la sonorité moins éclatante.

Dès la deuxième pièce - le merveilleux air Bess, You is my Woman Now - la foule, qui connaissait l'oeuvre, était conquise. Dans Gone, les trompettes et les trombones - les meilleurs parmi les «amis» du soliste - a rappellé à ceux qui en doutaient que l'oeuvre avait sa place au Festival de jazz: ça sonne. Michel Donato et Richard Provençal jouent à la contrebasse et à la batterie les partitions qu'Evans avaient écrites il y a plus de 50 ans - classique, vous dites ? - pour Paul Chambers et Philly Joe Jones. Ici les saxophonistes Jean-Pierre Zanella et Frank Lozano; au studio Columbia de New York en juillet 1958, Cannonball Adderley et Danny Banks.

Gonne, Gone, Gone donnera ensuite la place aux cors français (et au tuba) et aux clarinettes, des «classiques» qui semblaient heureux «dans le moment». Ils planeront magnifiquement dans Oh! Bess! Oh! Where's my Bess? Et voilà Summertime, la chanson la plus connue de l'oeuvre et peut-être de toute la musiquie - livrée à la trompette avec sourdine. Di Lauro n'en rajoute pas: il est juste dedans.

Puissant dans Prayer, il libère le gros du drame de cette oeuvre qui raconte l'histoire d'un infirme, Porgy, qui vit dans les bas-fonds de Charleston en Caroline du sud et qui tente de sauver Bess et de son amant violent et de Sportin'Life, le dealer de dope. Here Comes the Honey Man! Le soliste y va plus librement It Ain't Necessarily So où la grosse machine swingne du cor. I Loves You, Porgy nous rappelle par ailleurs que Gil Evans - et Miles Davis - faisaient dans le jazz modal (gamme unique) avant que Kind of blue ne lance définitivement la «mode» en 1959. Ici, dans Porgy and Bess, tout se termine, très big band, avec There's a Boat Leaving Soon for NewYork. Joe Muccioli a pris ce bateau hier, avec ses partitions. Espérons qu'il les rapportera bientôt à Québec, Trois-Rivières ou Sherbrooke qui apprécieraient tout autant que Montréal ce que Ron di Lauro et ses amis font avec le classique de Miles Davis et Gil Evans.

Entretemps, di Lauro reste près du sujet et jouera Miles Davis - Kind of blue 1959 au Festival d'Orford le 13 août, avec Donato, Provençal et Zanella à qui se joindront André Leroux et Pierre Leduc. Kind of blue - L'album de jazz le plus célèbre.