Il est 9 h du matin. Véronique Rivest n'a pas eu le temps de prendre son café, seulement de se brosser les dents en se levant. Le détail est important, car dans quelques secondes, les traces de dentifrice auront eu le temps de disparaître, laissant la voie libre à la centaine de verres de vin qu'elle devra goûter les uns après les autres et dont les arômes divers se déploieront dans sa bouche. Cent verres à 9 h du matin! Bienvenue dans le quotidien de la meilleure sommelière au monde.

Vous avez bien lu: Véronique Rivest, 49 ans, de Gatineau, au Québec, a été la première femme à monter sur le podium au concours du meilleur sommelier du monde qui a eu lieu en mars 2013 à Tokyo.

Le concours a lieu tous les trois ans depuis 1969. Pendant 20 ans, il a été entièrement dominé par des sommeliers français. Puis, des sommeliers d'autres pays d'Europe ont commencé à y récolter les honneurs, toujours des hommes, comme de raison. Finalement, en 2013, c'était au tour de Véronique Rivest de briser le plafond de verre du vin.

Techniquement, elle est la meilleure sommelière au monde. Dans les faits, à Tokyo, elle a obtenu la deuxième place, ce qui, de toute façon, était un exploit en soi dans le boys club des championnats en sommellerie.

Miser juste

L'épopée qui a conduit cette joyeuse bonne vivante aux Jeux olympiques du vin fait l'objet d'un documentaire fascinant, Au pif, qui sera diffusé sur TV5 mardi soir. Le film a été coréalisé par Orlando Arriaga, celui à qui on doit le film sur les concours de mini miss au Venezuela.

Arriaga et son coréalisateur, Bachir Bensaddek, voulaient au départ faire un film sur la sommellerie. Mais lorsqu'ils ont rencontré la sympathique sommelière chez elle, ils ont tout de suite compris que le vrai sujet de leur film serait Véronique elle-même, cadette des trois enfants de Gérald Rivest, de Repentigny, et de l'Allemande Margret Schmidt, et adorable autodidacte, qui a commencé dans la restauration à 16 ans pour payer ses études en langues étrangères avant de larguer ses diplômes et ses velléités d'interprète pour un peu, beaucoup de vino...

À l'époque de sa rencontre avec les cinéastes, Véronique avait déjà gagné le titre de Meilleur sommelier du Canada, en 2006, et celui de Femme du vin, à Paris, en 2007. Lui restait à conquérir l'Everest des concours, ce qui était loin d'être acquis. «On a fait le pari de Véro sans même avoir de financement ni de diffuseur, écrit Orriaga. Un pari risqué que je ne ferais pas pour n'importe qui.»

Autant dire qu'en misant sur Véro, les réalisateurs ont visé juste.

Six bouteilles par jour

Je l'ai constaté à mon tour en la rencontrant un matin récemment dans un café du Vieux-Montréal. Véronique m'attendait devant un thé qui refroidissait. Elle avait les traits tirés et le teint un peu brouillé d'une fille qui s'est levée trop tôt pour prendre le train et qui s'est couchée trop tard en raison du bar à vin qu'elle vient d'ouvrir: le Soif, dans la rue Montcalm, à Gatineau.

Mais fatiguée ou pas, Véronique a l'énergie contagieuse et peut vous parler de vin pendant des heures sans que son enthousiasme ne connaisse la moindre chute de pression.

Une première question, presque banale, s'imposait: comment devient-on la meilleure sommelière au monde?

«Comment? En goûtant à six bouteilles de vin par jour, six jours par semaine, 52 semaines par année. En se préparant au moins un an à l'avance. En lisant, en goûtant, en faisant des voyages et des entraînements, à New York, par exemple, avec le plus grand spécialiste du saké; en sachant tout sur le thé et tout sur la grande gastronomie. Bref, en investissant du temps et de l'argent [environ 40 000 $] tout en sachant qu'on pourrait, à l'étape finale du concours, faire une gaffe et se casser la gueule comme n'importe quel athlète», affirme, sans sourciller, la sommelière.

Passage à vide

Se casser la gueule, Véronique en sait quelque chose. En 2009, elle est passée à un cheveu de remporter le titre de Meilleure sommelière des Amériques. C'est Élise Lambert qui a gagné à sa place. Sa gaffe? «À la fin de ma prestation, j'ai oublié, complètement oublié, d'offrir aux jurés des eaux minérales, des digestifs et des cigares. Ça m'a coûté des points.»

La scène est dans le film, tout comme l'espèce de passage à vide que la sommelière a vécu l'année suivante.

«Mon entraînement avait été trop intensif. J'avais pris du poids, je n'étais pas en forme et je n'avais plus aucun plaisir à goûter du vin. Or, le plaisir est une condition sine qua non dans ce métier-là. Pour le retrouver, j'ai cessé de boire pendant trois mois.»

En 2012, Véronique a tenté de nouveau sa chance au concours du meilleur sommelier des Amériques et, cette fois, elle a remporté le titre. À partir de ce moment-là, c'est devenu clair dans sa tête et dans celle de son conjoint, Dominique Maury (un natif de l'Alsace qui travaille aux communications de Patrimoine Canada), qu'elle allait viser les Jeux olympiques du vin à Tokyo. Elle n'était pas la seule candidate féminine. En 2010, sept femmes avaient participé au championnat. En 2013, elles n'étaient plus que quatre.

«Au Québec, il y a pratiquement autant de femmes sommelières que de gars. À l'international, c'est un peu moins le cas. Cela dit, il existe, au plan international, une belle camaraderie entre les hommes et les femmes en sommellerie. On se connaît tous. On se voit de pays en pays et on a toujours du plaisir à se retrouver autour d'une ou de plusieurs bouteilles à la fin du concours.»

Le monde du vin est un monde vaste, qui se complexifie d'année en année. Véronique se souvient qu'à ses débuts, c'était plus simple. Suffisait de connaître les bordeaux et les bourgognes et le tour était joué.

«Maintenant, dit-elle, on fait du vin en Chine, en Thaïlande, en Amérique du Sud, on n'en finit plus d'apprendre. Le vin, à la longue, ça rend humble, et c'est bien ainsi. Il n'y a rien qui m'énerve plus que l'arrogance des gens qui se disent grands connaisseurs et qui pensent avoir la science infuse. Le snobisme du vin, très peu pour moi. La prohibition aussi. Chez nous, les enfants avaient le droit de prendre un verre avec les grands. Pas tous les soirs, évidemment. Mais l'alcool n'a jamais été interdit chez nous. C'est la meilleure façon de développer le goût et, aussi, de prévenir, plus tard, les excès.»

Secrets bien gardés

Après tant d'années, le vin continue d'avoir encore quelques secrets pour Véronique Rivest. Et pourtant, c'est elle qui a imaginé les 800 questions et réponses du jeu-questionnaire sur le vin de la série des Incollables.

Elle risque d'en avoir bientôt besoin. Les prochains Jeux olympiques du vin ont lieu en 2016. Pour y participer, Véronique doit d'abord gagner le premier concours pancanadien, qui aura lieu en mars 2015, à Toronto. «Il ne me reste qu'une marche à monter pour avoir la première place sur le podium mondial, mais je pourrais aussi bien dégringoler et me retrouver en 12e position. Est-ce que ça vaut le coup?»

Véronique pose la question, mais sa décision est prise. Elle va tenter sa chance, à Toronto, en mars. Il lui reste trois mois pour se préparer. «J'ai fait zéro étude depuis Tokyo, mais, justement, je veux savoir ce qu'il me reste comme acquis. Si je gagne à Toronto, je m'enligne pour le Mondial, sinon, j'arrête les concours et je m'occupe de former les autres et de gérer mon bar à vin.»

Je ne connais pas beaucoup Véronique Rivest, mais quelque chose me dit qu'elle n'abdiquera pas de sitôt. Un jour, cette marchande de vin et de bonheur finira bien par se hisser jusqu'au sommet de l'Olympe du vin. Ce jour-là, ce sera un petit pas pour les femmes et un pas de géant pour la sommellerie.