On ne saura jamais si Tinky Winky, le Teletubby mauve qui se promène avec un sac à main, est gai. Mais on sait maintenant avec certitude qu'Albus Dumbledore, le directeur de Poudlard, l'école des sorciers que fréquente Harry Potter, l'est.

La révélation est sortie de la bouche même de l'auteur J.K. Rowlings lors d'une lecture publique à Carnegie Hall vendredi. À un fan qui lui demandait si Dumbledore, le vieux sage et mentor de Harry avait déjà été amoureux, elle a répondu: «Pour être franche avec vous, j'ai toujours pensé que Dumbledore était gai.» Et c'était parti!Après l'ovation de la salle, la nouvelle de l'orientation sexuelle d'un vieux barbu d'un âge surréaliste frôlant 1000 ans et n'ayant jamais existé, sauf dans la tête de J.K. Rowlings, a fait le tour du monde et la manchette de CNN. Les réactions de l'opinion publique ont été nombreuses et diverses.

Certains lobbys gais ont été ravis, d'autant plus que Dumbledore est un personnage gentil et attachant. D'autres n'ont pas apprécié le manque de courage d'un auteur qui a attendu la fin complète de sa série pour lancer une info qui aurait peut-être pu nuire à ses ventes.

L'argument ne manque pas de pertinence même si Rowlings s'est toujours fait un devoir de prêcher la tolérance et d'inclure dans ses bouquins des personnages issus de toutes les races et de toutes les classes sociales. Mais de toute évidence, elle n'était pas prête à dévoiler d'entrée de jeu l'orientation sexuelle de Dumbledore. Elle a mis 10 ans à le faire. C'était son droit le plus strict. Impossible par contre de ne pas voir dans cette omission, une ruse de marketing.

On passera sous silence les hauts cris des groupes cathos qui, de toute façon, se sont opposés aux aventures de Harry Potter dès le premier tome, sous prétexte qu'on y faisait l'apologie de pratiques dépravées comme la sorcellerie.

Restent les lecteurs ordinaires, des plus jeunes au plus âgés, ceux qui depuis 10 ans suivent les aventures palpitantes de Harry, Hermione et Ron, ceux qui peuvent spéculer pendant des jours sur le caractère d'un personnage en se demandant s'il s'agit d'un vrai méchant ou d'un faux bon.

Ceux-là ont sans doute été étonnés d'apprendre que Dumbledore était gai. Mais est-ce que c'était important qu'ils le sachent? Est-ce que cela va changer quelque chose à leur appréciation des livres de Harry Potter? Le cas échéant, cette information de dernière heure n'est-elle pas de trop?

Personnellement le fait que Dumbledore soit gai ou non ne me fait pas un pli sur la différence. En revanche j'ai l'impression que la révélation de son homosexualité n'a rien à voir avec Dumbledore et tout à voir avec Rowlings elle-même et avec son incapacité à lâcher prise. Le paradoxe est d'autant plus grand que c'est Rowlings qui a décidé de son propre chef de mettre un terme aux aventures de Harry Potter. Personne ne lui demandait de le faire.

Au contraire. Tous l'ont suppliée de continuer à écrire. Mais avec l'intelligence qui la caractérise, elle a préféré tiré un trait alors qu'elle était au sommet de sa gloire. La décision était sage mais elle était malheureusement plus facile à dire qu'à faire.

La preuve: depuis qu'elle n'écrit plus, J.K. Rowlings se balade sur toutes les tribunes pour garder ses petits sorciers en vie. Lorsqu'on lui demande ce qui est arrivé à ses personnages, elle se fait un plaisir de le raconter, quitte à saper l'élan de ses fans et à les empêcher d'imaginer par eux-mêmes la suite des aventures de Harry.

Il y a un principe en fiction qui s'appelle une fin ouverte. C'est un principe qui frustre les plus cartésiens qui veulent qu'on leur explique tout, mais qui à mes yeux apparaît comme le plus beau cadeau d'un écrivain à ses lecteurs. Non seulement fait-il confiance à leur intelligence, mais il les invite à voler de leurs propres ailes avec son oeuvre.

En nous racontant ce que sont devenus Harry et Hermione, en nous révélant l'orientation sexuelle de Dumbledore, J.K. Rowlings ne fait pas confiance à notre intelligence. Elle garde le plein contrôle sur son histoire, refusant par le fait même de libérer notre imaginaire. Il y a un remède pour cette maladie: recommencer à écrire.