Il y a toujours eu quelque chose de fuyant chez Philippe Katerine, chanteur de La banane et Louxor, j’adore. Même sa mère ne sait pas quand il dit la vérité ou pas, assure l’artiste, dont les Monsieur rose sont déployés depuis mardi à Montréal. Il dit qu’il aime jouer. Et s’il se jouait un peu de nous ?

Feutre noir à la main, dans la salle de l’esplanade Tranquille appelée « réfectoire », Philippe Katerine dessine une cicatrice sous le sein gauche d’un de ses Monsieur rose. « Ils ont été repeints », explique-t-il, après avoir fait cet ajout qui apparaît sur la quinzaine de personnages de résine aux fesses bombées qu’on peut désormais croiser au centre-ville, de la Place Ville Marie à la Place des Arts.

Cette ligne barrée de traits a une résonance toute personnelle pour l’artiste. « J’ai été opéré au cœur quand j’étais petit, alors j’ai une cicatrice, dit-il d’un ton doux. D’un point de vue plus général, je pense que tout le monde a une cicatrice au cœur, quelque part. »

Les Monsieur rose au Quartier des spectacles
  • L’artiste Philippe Katerine redessinait la cicatrice sur ce bonhomme rose lorsque La Presse l’a rejoint à la salle Réfectoire de l’esplanade Tranquille, mardi.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    L’artiste Philippe Katerine redessinait la cicatrice sur ce bonhomme rose lorsque La Presse l’a rejoint à la salle Réfectoire de l’esplanade Tranquille, mardi.

  • Chanteur, comédien et maintenant plasticien, Philippe Katerine a parlé de « magie » pour décrire l’étonnant destin de ses Monsieur rose, qu’il n’espérait pas voir voyager autant.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Chanteur, comédien et maintenant plasticien, Philippe Katerine a parlé de « magie » pour décrire l’étonnant destin de ses Monsieur rose, qu’il n’espérait pas voir voyager autant.

  • Un Monsieur rose est suspendu à l’édifice du Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts. Il était déjà là lundi soir, à la veille du lancement officiel du parcours Le Mignonisme, en présence de l’artiste Philippe Katerine.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Un Monsieur rose est suspendu à l’édifice du Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts. Il était déjà là lundi soir, à la veille du lancement officiel du parcours Le Mignonisme, en présence de l’artiste Philippe Katerine.

  • Ce Monsieur rose accueille les spectateurs devant l’entrée principale de la Place des Arts. Mardi matin, des passants se prenaient spontanément en photo avec le coloré personnage.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Ce Monsieur rose accueille les spectateurs devant l’entrée principale de la Place des Arts. Mardi matin, des passants se prenaient spontanément en photo avec le coloré personnage.

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La cicatrice, c’est la faille, la pointe d’humanité peut-être, de ce personnage d’une joliesse naïve qu’il a créé en manipulant de la pâte à modeler durant le premier confinement, en jouant avec ses enfants. Un bonhomme qu’il a décliné en plusieurs versions, positions et dimensions et qui incarne aujourd’hui une vision artistique, le « mignonisme ».

Le mignon, dans l’esprit de Philippe Katerine, n’est pas une version enfantine du beau, comme le kawaii japonais. Ce n’est pas non plus un chaton qui joue avec une pelote de laine. « Ça, je ne trouve pas ça forcément mignon », dit-il. Ce gentil mot renvoie chez lui à l’émerveillement : un détail qui rend « mignon » quelqu’un « d’un peu repoussant », explique-t-il, ou encore un personnage rose gomme balloune qui surprend dans un environnement gris.

« Il y a du soleil aujourd’hui, mais Montréal est parfois un peu grise », glisse-t-il en cherchant des yeux l’assentiment de son interlocuteur. « Alors l’idée de cette exposition, c’est de mettre une touche de couleur. Et le rose, c’est vrai, ressort très fort dans l’environnement urbain. »

Entrer dans la fiction

Ses Monsieur rose, Katerine les a d’abord exposés au Bon Marché, un grand magasin de Paris. Le plus imposant d’entre eux (six mètres de hauteur) y était suspendu au-dessus des rayons de parfumerie situés au rez-de-chaussée. « Comme s’il allait s’écraser dessus », précise l’artiste, sans pour autant dire qu’il s’agissait d’un attentat fantasmé contre la société de consommation.

Ils ont aussi été présentés dans une exposition à l’ambassade de France en Suède, un « environnement quand même bien rangé et assez bourgeois », décrit Philippe Katerine.

Les voir là-dedans bouscule un peu l’ordre et ça fait plaisir. Ça raconte une histoire. C’est toujours intéressant de les voir se déplacer.

Philippe Katerine

Katerine a aimé voir l’un de ses personnages suspendu à l’édifice du Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts (« On se demande pourquoi il est là, c’est comme une entrée dans la fiction », suggère-t-il), mais explique qu’il les expose au gré des propositions. Sans plan, sans intention profonde. À l’en croire, il crée sans vision à long terme.

« Je réponds à des besoins personnels, à des nécessités personnelles. J’ai besoin de faire des choses », insiste-t-il, en précisant que la réaction des gens est pour lui secondaire. « C’est une démarche purement égoïste pour sauver ma peau. »

Pas sans malice

Que Philippe Katerine dise fonctionner à l’instinct n’étonne guère. Or, si on le suit en chanson depuis plus de 25 ans, on a plus de mal à le croire lorsqu’il décrit une démarche presque naïve, dépourvue d’ironie. Il faut avouer qu’au fil du temps, on s’est demandé plus d’une fois s’il nous niaisait…

On le lui dit, en expliquant l’expression. Non, il ne teste pas nos limites, assure-t-il, ne cherche pas à savoir jusqu’où on le suivra dans ses folies. « Il y a un goût du jeu », convient toutefois l’artiste, revêtu ce matin-là d’un t-shirt à l’effigie de l’émission pour enfants Sesame Street.

Je suis comme ça dans la vie. J’aime bien jouer. Alors il y a de la malice, c’est sûr…

Philippe Katerine

Philippe Katerine dit beaucoup aimer Jeff Koons, le plasticien américain qui fait notamment des animaux géants ayant l’apparence de ballons gonflables. Un art qui, aux yeux de certains, passe pour une fumisterie. Pas pour lui. « J’ai vu son exposition à Versailles qui a provoqué un choc incompréhensible, d’ailleurs, se rappelle-t-il. Enfin, c’était inscrit dans le mobilier de l’époque, c’est vrai. J’imagine que ça a choqué les gens… »

Lui jure qu’il ne cherche pas à causer de tels chocs. Qu’il n’est pas un provocateur. « Ma mère m’a toujours dit : ce n’est pas ton genre de provoquer. Elle a dû comprendre que, parfois, je voulais provoquer, ce qui n’est pas forcément vrai. Une mère a toujours raison au sujet de son enfant », conclut-il néanmoins, en affichant un sourire énigmatique, comme pour brouiller les pistes.

Philippe Katerine dit tout et son contraire, sur le ton de l’évidence et parfois même de la confidence gênée. Souvent avec un sourire qui désamorce ou désavoue ce qu’il vient tout juste de dire. Il s’en défend mollement lorsqu’on le lui souligne, puis ajoute : « Ma mère m’a toujours dit : on ne sait jamais si tu dis la vérité ou pas. » Il prend une pause. « Et moi, est-ce que je le sais ? Non, conclut-il d’un ton doucereux. Je ne le sais pas du tout. »

Le parcours Le Mignonisme de Philippe Katerine est présenté jusqu’au 29 septembre au Quartier des spectacles et au centre-ville. Le chanteur est également en concert-conférence à la Cinquième Salle de la Place des Arts ce mardi, 20 h (gratuit), puis à La Nef, à Québec, jeudi, 20 h.

Philippe Katerine propose aussi une rencontre et une séance de signatures ce mercredi, de 16 h à 18 h 30, au Salon urbain de la Place des Arts.

Consultez la page du parcours Consultez la page du concert-conférence à Montréal Consultez la page de la rencontre et séance de signatures