Mise au pied du mur par une technologie qui gagne du terrain, l’Union des artistes du Québec (UDA) vient de se joindre à une coalition mondiale d’artistes de la voix, comprenant des doubleurs, faisant front commun avec des associations et des syndicats d’artistes européens et d’Amérique du Sud pour éviter leur disparition.

Ce mouvement mondial vise à protéger le travail des artistes interprètes de la voix enregistrée, qu’il s’agisse de doublage ou de narration, deux domaines menacés par les avancées prodigieuses de l’intelligence artificielle, qui permet de doubler des acteurs dans plusieurs langues avec leur propre voix, mais aussi de générer une panoplie de voix qu’on confond aujourd’hui avec celles des humains.

L’United Voice Artists (UVA) regroupe des associations et des syndicats d’artistes de la voix enregistrée provenant d’une vingtaine de pays, dont la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Suisse et la Pologne, mais aussi la Turquie, les États-Unis et des pays d’Amérique du Sud.

« L’utilisation non réglementée et sans discernement de l’intelligence artificielle constitue un risque qui pourrait conduire à la destruction d’un patrimoine artistique pétri de créativité et d’émotions, qu’aucune machine ne peut produire », écrit l’UVA en guise d’introduction.

Au Québec, ce sont près de 4000 personnes qui déclarent des revenus provenant du doublage et de la narration, qu’il s’agisse de documentaires, de livres audio, de vidéodescriptions, de jeux vidéo ou de publicité, soit 44 % des 8450 membres actifs de l’UDA.

La nouvelle présidente de l’UDA, Tania Kontoyanni, a confirmé à La Presse l’adhésion de son syndicat à l’UVA il y a près de trois semaines.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente de l’UDA, Tania Kontoyanni

C’est un combat qui doit s’internationaliser. En dehors de ce partenariat, il n’y a pas de salut. On fait face à un véritable tsunami, et oui, on se sent impuissants. L’intelligence artificielle avance à la vitesse grand V, et chaque fois qu’on fait une étude, il est déjà trop tard. C’est une course contre la montre.

Tania Kontoyanni, présidente de l’UDA

L’UVA détaille dans son manifeste ses préoccupations et formule des demandes. Il est notamment question de préserver les droits de propriété intellectuelle des auteurs et interprètes, de protéger leurs données personnelles ou encore d’être transparent par rapport aux voix qui ont été générées par l’intelligence artificielle.

Lisez le manifeste d’UVA

Mais l’UVA demande d’abord et avant tout un moratoire sur l’utilisation d’outils de synthèse vocale ou de clonage de voix basé sur l’IA, et ce, jusqu’à ce qu’une réglementation qui protège les professionnels de la voix soit mise en place.

Pour le moment, l’UDA cherche à inclure au moins deux clauses dans les ententes signées actuellement par les artistes. La première vise à informer l’artiste de la présence de l’IA dans le projet artistique ; la seconde consiste à s’assurer que le travail de l’artiste ne soit pas utilisé par un producteur pour nourrir une intelligence artificielle, nous résume la présidente du syndicat.

« C’est sûr que ça peut avoir l’air d’être un coup d’épée dans l’eau, explique Tania Kontoyanni, mais c’est un début. La vérité est qu’on ne sait pas si on va pouvoir arrêter cette vague-là. Il y a six mois, l’IA était une rumeur encore imparfaite, aujourd’hui, c’est une technologie au point. À ce stade-ci, on se demande quels sont les outils possibles pour protéger nos emplois. »

Québec tend l’oreille

Des rencontres ont déjà eu lieu avec le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, mais aucune réglementation n’est encore envisagée par le gouvernement pour forcer les producteurs étrangers à faire doubler leurs films par des voix locales ou pour empêcher une compagnie de faire « l’achat » d’une voix de synthèse québécoise pour narrer un livre audio ou une publicité…

Le gouvernement est sensible à la question, mais il n’y a encore aucune mesure concrète.

Tania Kontayanni

« Pendant ce temps, c’est sûr que ça bouge vite, explique Tania Kontoyanni. On a déjà perdu la bataille des vidéodescriptions. Tout est fait avec l’IA. On a perdu plein de contrats. »

À la suite de la publication en avril d’un dossier de La Presse sur la percée fulgurante de l’intelligence artificielle dans le doublage de films, le ministre Mathieu Lacombe avait avoué que « les solutions miracles n’existent pas », mais qu’il y a « des moyens pour améliorer ce qu’on fait ». « On n’a pas la prétention ici, au Québec, d’être capables de freiner un phénomène mondial comme celui-là de fond en comble », avait-il dit.

Il avait confié au Conseil de l’innovation du Québec la responsabilité de définir les lignes directrices d’un encadrement législatif et réglementaire de l’intelligence artificielle au Québec – dans son ensemble.

Tania Kontoyanni, elle, fonde quelques espoirs dans son association avec l’UVA, pour éviter le pire, mais surtout pour ne pas rester les bras croisés. « Le statu quo ferait en sorte qu’on perdrait tout, nous dit-elle, donc on travaille pour éviter cette situation, mais l’IA nous dépasse largement. La question est de savoir ce qu’on va laisser la vaguer emporter. »

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