Gilbert Lachance fait du doublage depuis 35 ans. Au fil des ans, on a entendu sa voix dans plus de 1000 films ou séries. Mais il est spécialement connu pour être la voix de Johnny Depp, de Matt Damon et surtout de Tom Cruise, dont il a doublé la quasi-totalité des films.

Il a été formé comme acteur, a joué dans des séries comme Chambres en ville, mais Gilbert Lachance s’est tourné vers le doublage et la narration quand la caméra l’a « boudé ». Il l’avoue d’emblée, depuis son plus jeune âge, il aime « changer de voix ». Aujourd’hui, il adore son travail.

Le premier point sur lequel il insiste : les comédiens qui font du doublage ne le font pas par dépit ou en attendant de jouer devant la caméra, même s’il reconnaît que les contrats de doublage ou de narration sont les bienvenus entre deux tournages ou durant les périodes creuses, sans contrat de jeu à l’horizon.

« Il reste qu’on ne le fait pas à reculons, nous dit Gilbert Lachance. On le fait parce qu’on aime ça. Et il y a de très bons comédiens qui font du doublage. Qu’on pense à Anne Dorval, à Guy Nadon et à plein d’autres. Xavier Dolan n’aurait pas existé sans doublage. »

Question d’émotion

L’argument des boîtes américaines voulant que l’intelligence artificielle permette de sauvegarder l’intégrité artistique et l’authenticité de l’acteur, Gilbert Lachance n’y souscrit pas.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Gilbert Lachance

L’authenticité de l’acteur, on parvient à la sauvegarder avec notre sensibilité humaine. Même si on n’a pas tout à fait le même timbre de voix que lui, on va chercher l’émotion de l’acteur grâce à notre jeu, qui passe par notre voix.

Gilbert Lachance

Les textes, eux, sont fournis par des adaptateurs, qui observent les mouvements de la bouche des acteurs et adaptent les textes en français en fonction de la durée des répliques.

Thibaud de Courreges est adaptateur depuis 26 ans. Il a travaillé sur près de 500 films pour les studios de doublage québécois. Il convient qu’en adaptant, il y a toujours une perte. « L’anglais est très synthétique, tandis que le français s’étale, donc forcément il y a un problème en lien avec le temps imparti, on sacrifie une partie du sens, mais on s’en rapproche le plus possible. »

Selon lui, les qualités des textes adaptés par les humains sont toutefois indéniables. « Les blagues, par exemple, sont pratiquement impossibles à traduire, il faut en trouver d’autres qui ont le même sens. Même chose pour les idiomatismes, les mots compliqués, les expressions à double sens, l’ironie ou le sarcasme. Pour le moment, ce sont des choses qui nous protègent des textes générés par un robot... »

Question de survie

Gilbert Lachance, lui, aimerait voir l’Union des artistes (UDA) défendre ses membres qui font du doublage et de la narration. « Dans de nombreux cas, il s’agit même de leur source principale de revenus, rappelle-t-il. Ne rien faire, ce serait nous enlever le pain de la bouche », illustre-t-il.

« Si on se sert de la voix des acteurs originaux pour doubler les films, les producteurs devront leur verser une prime, ajoute-t-il, ils vont donc faire encore plus d’argent. Il y a une forme d’ubérisation de la voix, je trouve ça indécent. »

Thibaud de Courreges avoue qu’il ne croyait pas devoir discuter de ce dossier avant un certain temps.

« On savait que ça viendrait, mais on se rend compte que c’est maintenant. Est-ce que le travail des adaptateurs va être protégé même si les acteurs cessent de faire du doublage ? Ça se peut, mais pour combien de temps ? Si les logiciels peuvent modifier les mouvements des lèvres en fonction du texte, rien n’empêche les producteurs de leur fournir leurs propres textes. Éventuellement, nous jouerons peut-être un rôle de réviseur... »