Est-ce mon cocktail chocolat-vitamine D-oméga 3 ? Le soleil qui se lève plus tôt ? Une sagesse intérieure qui se développe à mon insu, ce dont je doute beaucoup ? Toujours est-il que depuis quelques jours, je ressens une légèreté (ou un poids en moins), en dépit de la crise sanitaire qui s’étire, et cela tient en fait à une chose : l’absence de Donald Trump.

L’entrée en fonction de Joe Biden, qui ne fait pâmer personne, donne l’impression d’avoir quitté une dystopie à la Brazil complètement drainante pour un épisode un peu plate de The West Wing. Dans les deux cas, il s’agit de fictions, mais on peut choisir dans laquelle on souffre le moins. De toute façon, on dirait que Trump a tué la dystopie pour un bout de temps, puisqu’aucun scénariste n’aurait pu imaginer un règne pareil.

En fait, loin de sortir les cotillons, j’avais juste hâte que l’investiture de Biden se finisse sans drame.

Les inégalités continuent de se creuser, la COVID-19 fauche des vies tous les jours, l’avenir n’apparaît pas radieux, mais au moins, on n’ingère plus le poison quotidien d’un homme toxique qui a rendu malade tout le monde, bien au-delà des frontières des États-Unis.

PHOTO MANDEL NGAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Donald Trump photographié au moment de quitter la Maison-Blanche le 20 janvier dernier, jour de l’investiture du président désigné, Joe Biden.

Il y a quatre ans, on ne savait pas trop dans quoi on allait sombrer avec l’arrivée de ce wannabe dictateur au pouvoir.

Une semaine de paix et on se rend compte que c’est long longtemps, quatre ans. Je ne peux m’empêcher de penser que la planète au complet est un peu en choc post-traumatique après le passage d’un pyromane au teint orange à la tête du pays « leader du monde libre ». Comment oublier combien on a rigolé pendant sa course à la présidence avant d’être abasourdi par sa victoire ? La majorité des analystes politiques disait que les Américains avaient trop de respect envers la fonction présidentielle pour élire ce clown, et ils ont dû manger leurs bas au petit déjeuner le lendemain matin.

Je me souviens encore de cette caricature de la statue de la Liberté terrorisée, qui se réveille avec Trump dans son lit, comme une blind date qui a mal tourné. On n’avait encore rien vu de ce mandat qui allait culminer par une attaque de fous furieux contre le Capitole. Autant que les dérapages quotidiens de Trump lui-même, ce sont nos réactions à Trump qui ont occupé tout l’espace pendant quatre longues années d’éclipse médiatique, période que les historiens vont probablement analyser pendant un siècle. Dans les premiers mois, les internautes partageaient systématiquement toutes les conneries de Donald Trump, appelant dès le début à sa destitution. Sa face tapissait les médias et les réseaux sociaux, il n’y avait que lui.

La mauvaise foi et la défense irrationnelle de Trump à Fox News comme la morale lourde et les mines déconfites des commentateurs à CNN, c’est devenu du pareil au même : pénible, voire insupportable.

J’ai fini par comprendre que c’est ce qui lui donnait sa force, si bien que je me suis imposé de ne plus partager les articles le concernant, mais c’était aussi difficile que d’arrêter de fumer et j’ai eu quelques rechutes (lors de sa visite à Poutine ou pendant les évènements de Charlottesville, par exemple). Mais il fallait s’éloigner de ce trou noir qui aspirait tout autour de lui, ne serait-ce que pour garder un semblant de santé mentale et ne pas oublier que le monde continuait de tourner, qu’il y avait tellement d’autres choses sur lesquelles on devait se pencher.

Bret Easton Ellis, le célèbre auteur d’American Psycho, paru en 1991 — dans lequel Patrick Bateman a Trump comme modèle paternel — a publié il y a deux ans White, son premier recueil d’essais, qui n’est pas un grand livre. Mais il avait particulièrement raison sur un point : les gens ont perdu les pédales avec Trump. Nous avons assisté à une espèce d’effondrement psychique collectif ces dernières années. J’avais interviewé l’écrivain pour ce livre et il voyait cette panique comme de l’immaturité, estimant que la seule chose à faire était de travailler à l’éjecter de son poste en 2020. Il était aussi découragé par son chum, un « millénial », tombé en dépression après l’élection.

« J’ai subi trois ans à le voir perdre la tête à cause de ça, m’avait-il dit. Je ne pense pas que c’est progressiste, je ne pense pas que ça fait bouger quoi que ce soit, c’est pourquoi je suis dur. » Avec la pandémie, le délire trumpiste a atteint une phase qu’on espère terminale, même si on sait qu’il continuera de faire des vagues. C’était déjà trop, c’est devenu accablant. Plus personne n’avait l’énergie pour subir le freak show de cet homme, à part ses supporteurs. On n’a qu’à voir le visage de l’infectiologue Anthony Fauci dans les points de presse pour constater le soulagement — et l’homme a travaillé pour de nombreux présidents avant.

Je me demande même si, sans ce virus planétaire, Trump n’aurait pas été réélu, mais ce rapport au réel qui a été détraqué trop facilement a peut-être retrouvé un début de sentier au milieu d’une pile de cadavres, de beaucoup de morts qui auraient pu être évitées. Le plus important est de savoir si nous avons malgré tout appris quelque chose, si nous pourrons nous ressaisir et garder la tête froide pour la suite. Mais une semaine sans Trump donne déjà l’impression d’un peu de vacances dans les ruines d’un monde qu’on n’aura pas le choix de rebâtir, en évitant ce qui peut davantage le mener à sa perte.