Elle a chanté sur disque et sur scène, partagé des vidéos sur Instagram, mais on n’avait pas vraiment entendu Britney Spears s’exprimer en son propre nom depuis longtemps avant l’allocution qu’elle a prononcée en juin pour demander la fin d’une tutelle qu’elle jugeait criminelle. La lutte pour sa liberté – menée entre autres à travers le mouvement #FreeBritney – a marqué l’année qui s’achève.

« Les gens qui m’ont fait ça ne devraient pas pouvoir s’en tirer aussi facilement », a déclaré Britney Spears, en s’adressant à une cour de Los Angeles le 23 juin dernier pour demander la fin de la tutelle sous laquelle elle vivait depuis 13 ans. « Mon père, a-t-elle précisé plus loin, et tous ceux impliqués dans cette tutelle et mon management, qui a joué un grand rôle en me punissant quand je disais non, ils devraient être en prison. »

Elle n’a pas eu gain de cause à ce moment-là. Cette prise de parole a toutefois été un tournant, juge Sandrine Galand, autrice de l’essai Le féminisme pop, qui a suivi de près toute l’affaire. « C’est à peu près la seule fois qu’on a eu accès à la parole de Britney Spears », observe-t-elle. Jusque-là, son histoire était surtout racontée par d’autres.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Hélène Laurin, rédactrice-conceptrice et productrice déléguée chez Savoir Média

Ce témoignage a « sonné un réveil », croit aussi Hélène Laurin, rédactrice-conceptrice et productrice déléguée à Savoir Média, qui s’est aussi intéressée à cette histoire qu’elle qualifie de « tragique ». Les fans de la chanteuse avaient déjà fait beaucoup pour mettre en lumière la situation de la star avec le mouvement #FreeBritney. Son témoignage articulé, plein d’aplomb et de colère contenue, a montré que cette femme que son entourage a discréditée avait bel et bien toute sa tête.

Signes de détresse

Britney Spears a vécu pendant 13 ans sous tutelle. Ses déboires personnels, l’épisode où elle s’est rasé les cheveux, ses démêlés avec les paparazzi et sa performance jugée confuse aux MTV Music Awards en 2007 laissaient effectivement entendre qu’elle était « en détresse », se rappelle Hélène Laurin. « Quand son père est arrivé, on s’est dit : Britney sera sauvée, dit-elle. C’est avec le temps qu’on s’est rendu compte que ça n’avait aucun bon sens, cette tutelle. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Sandrine Galand, autrice du livre Le féminisme pop

En rasant ses cheveux, qui sont la racine d’une féminité, surtout pour une pop star, Britney Spears a un peu assassiné son propre personnage et elle a attiré l’attention sur la manière dont on étiquette les femmes, et comment on les consomme.

Sandrine Galand, autrice de l’essai Le féminisme pop

Il ne fait aucun doute pour Hélène Laurin et Sandrine Galand que la vedette a été jugée ainsi parce qu’elle est une femme. « On a été extrêmement intraitables avec Britney Spears et [on l’est] avec les femmes dans l’espace public en général. Le double standard est toujours là », dit l’autrice du Féminisme pop. Justin Bieber a d’ailleurs lui aussi connu des déboires personnels très médiatisés ces dernières années, sans que ses capacités soient remises en question, relève Hélène Laurin.

IMAGE D’ARCHIVES

Les tabloïds n’ont pas épargné la star. Quand elle s’est rasé la tête en 2007, les photos ont fait la une des magazines.

Mobilisation populaire

Ce que les deux observatrices retiennent aussi, c’est l’impact de la mobilisation qui s’est manifesté par un appui populaire et des documentaires qui creusaient la situation de la pop star, dont Framing Britney Spears et Britney vs Spears. « C’est le mouvement #FreeBritney qui a catalysé l’intérêt du public pour les documentaires. Il a aussi fait paniquer la tutelle », dit Sandrine Galand.

Et s’il demeure difficile de départager le vrai du faux dans toute cette histoire, le mouvement de sympathie qu’elle a suscité laisse entendre que la société a un peu changé depuis les débuts de Britney Spears, il y a plus de 20 ans. « Le regard qu’on pose sur les enjeux de santé mentale et le principe même de la tutelle ont évolué », croit Sandrine Galand.

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Rassemblement du mouvement #FreeBritney à Los Angeles, en novembre

L’avènement des réseaux sociaux, par lesquels les stars peuvent s’adresser directement à leurs fans, leur permet aussi d’avoir un meilleur contrôle de leur histoire et de leur image. Les jeunes vedettes d’aujourd’hui, d’Ariana Grande à Billie Eilish en passant par Taylor Swift, s’en servent pour prendre la parole, affirmer leur identité et leurs prises de position. « C’est bien vu de s’affirmer, de porter des messages, de contester […], alors qu’avant, il fallait être lisse », évalue Hélène Laurin.

« Il ne faut pas s’arrêter à s’offusquer par sa tutelle parce qu’on juge que Britney Spears n’était pas assez handicapée pour mériter ce genre de traitement, prévient toutefois Sandrine Galand. Il faut pousser la réflexion et se dire que personne ne devrait être dépouillé de ses droits humains. »